Comédie dramatique écrite et mise en scène par Charif Ghattas, avec Francis Lombrail et Thibault de Montalembert.
Pièce d'atmosphère, qui ne cherche pas d'emblée à être "aimable" ni à déminer son climat austère par un humour à quel degré qu'il soit, "Dépendances" de Charif Ghattas est un face-à-face de deux hommes approchant la cinquantaine engoncés dans leurs positions sociales et pas particulièrement expansifs.
Ce n'est que peu à peu, à doses quasi homéopathiques, qu'ils vont s'ouvrir l'un à l'autre et que l'on saura qu'ils sont frères et pourquoi ils sont réunis dans cette maison sinistre peuplée de quelques chaises et d'une table.
Une maison qui se révèle leur maison de famille et qui est au cœur de tout : ils attendent Carl, le troisième frère, pour savoir quoi en faire. Faut-il la vendre ou pas, quelqu'un de la fratrie cherchera-t-il à la récupérer...
La problématique qui se révèle sera, comme toutes les autres énoncées dans la pièce, une certitude enrobée de flous.
Tobias (Francis Lombrail) et Henri (Thibault de Montalembert) sont peu causants. Le premier, entrepreneur de BTP, l'est naturellement, mais son frère, plus intellectuel, semble bloqué par l'enjeu de la situation, et ne sait que répondre par courtes phrases. On ne peut donc à proprement parler parler de duel ni d'échanges. On serait plutôt dans le difficile accouchement commun d'une vérité commune.
Charif Ghattas, qui assure également la mise en scène, sait sédimenter son action autour de petits faits apparemment anodins. Tout avance à pas comptés, mot prononcé après mot prononcé en ouvrant une bière ou en prenant une cigarette. Le spectateur sort de sa torpeur et finit par adhérer à ce climat de mystère sans mystère.
Grâce à l'interprétation magistrale de Francis Lombrail et Thibault de Montalembert, qui forme une espèce de choeur peu expansif, tout ce qui les lie et les noue remonte lentement au grand jour et bribes d'explication après bribes d'explication, on se fait enfin une idée cohérente des raisons de leur présence.
Charif Ghattas est visiblement très inspiré par Harold Pinter avec encore trop de rigidité dans son écriture pour atteindre le niveau du maître. Il est aussi certainement quelqu'un qui porte au pinacle l'intrigue de "Ceux qui m'aiment prendront le train" de Patrice Chéreau, car il se sort formidablement bien de la révélation finale qui change beaucoup la nature de la relation des deux frères et fait se fendre leurs armures en laissant leur lien fraternel les submerger.
Cette fin qu'il ne faut pas raconter plonge tout le monde dans un torrent d'émotions, justifiant d'un coup les chausses-trapes qui parsèment le texte.
"Dépendances" est un véritable morceau de théâtre brut et incandescent qui emportera ceux qu'il aura saisis là où ils ne s'attendaient pas à être emportés. L'émotion dramaturgique qui s'en suivra appartiendra aux très rares dont ils garderont longtemps la mémoire. |