Epopée poético-musicale écrite et mise en scène par Karim Bel Kacem, avec Fahmi Guerbâa et Karim Bel Kacem accompagnés par les musiciens Alain Franco, Aurélie Entringer, Serge Vuille, Flavio Virzi et Michael Schmid de l'Ensemble Ictus dirigé par Alain Franco.
Il y a toujours eu des musiciens dans la vie de Karim Bel Kacem : Messager, Mozart, César Franck, Debussy, Gounot.. Il faut dire qu'il s'agissait du nom des rues de son quartier d'enfance. Beaucoup d'oiseaux aussi puisque tout le monde surnommait sa cité amiennoise "le Pigeonnier". Et puis, également, du bruit, de la fureur... Car dans ces huit barres qui le formaient, le volcan social couvait, loin d'être éteint, et a fini par exposer...
C'est ce qu'il va raconter dans ce "23 rue Couperin"... En trois volets dans un bout à bout dialectique qui va fournir de quoi nourrir un théâtre total, tout autant documentaire que surréel.
Au début, un paysage de tours dans l'obscurité, avec quelques lumières ouvrant le champ à la pyrotechnie. Puis, alors qu'une voix plaintive de banlieusard jure à sa maman bien des choses, l'écroulement attendu des immeubles met à bas des centaines de Kapla. C'est la phase de la cité : elle bruit, elle crie, elle se débat et tombe... malgré la voix chevrotante d'André Malraux qui promettait jadis un radieux avenir gaulliste...
Alors la musique tente sa chance. Les plaques de rue prennent enfin leur sens musical et l'Ensemble Ictus, capable de tout jouer du classique aux musiques de films, sous la direction musicale de son pianiste Alain Franco vient adoucir les mœurs, donne l'illusion d'améliorer les choses. Aurélie Entringer (Alto), Serge Vuille (Percussions), Flavio Virzi (Guitare) et Michael Schmid (Flûte) sont à leur meilleur. Mais cela suffit-il ?
Ils s'esquivent un à un et c'est le retour au chaos qui triomphe avec passage de pigeons Cette fois-ci, ce n'est pas le murmure collectif, dans une pénombre encombrée de sirènes de police. C'est le cri déchirant d'un homme alors que les pigeons-pléonasmes hantent les ruines de la cité en feu. Il a tout de l'homme muré dans son désespoir. L'instant est pathétique. La fatalité ira jusqu'au bout. Il faut s'y préparer.
Commencé comme un constat, "23 rue Couperin" s'achève en parabole. La structure inventée par Karim Bel Kacem pour conter son enfance est certes rigide, mais elle laisse s'écouler de la vie entre ses pores. Fahmi Guerbâa incarne Yacine, l'humain des Cités, un humain au bord du néant, cabossé et en quête d'amour. Un programme qui nécessite plus qu'une pièce d'une heure.
"23 rue Couperin" de Karim Bel Kacem dit la banlieue, celle d'une ville moyenne française. Il cherche à dépasser le "brut de décoffrage" que l'on attend d'un tel sujet. L'empilement de moments très différents peut dérouter ou paraître factice. Qu'importe. Un sentiment passe. Un sentiment qui prend forme au-delà de la compassion ou de l'incompréhension.
Ce que peut le théâtre sur ce qui est montré, c'est à la fois infime et beaucoup. Une lumière qui s'allume, c'est un peu d'obscurité qui s'éloigne. Quelqu'un de plus qui écoute Yacine, c'est peut-être un jour la possibilité qu'il ne se jette pas dans le vide et qu'il n'ait pas besoin d'aller à l'extrême pour être applaudi. C'est l'utopie du théâtre sur la vie. |