Spectacle du Cirque Alfonse.

Il faudrait sans doute l'intervention d'un spécialiste de géopolitique économico-circassienne pour expliquer pourquoi les Québécois sont devenus les rois du cirque moderne. Celui qui n'a plus forcément besoin d'un chapiteau et surtout qui n'a plus de numéros de dressage d'animaux.

Après le Cirque du Soleil et le Cirque Eloize, c'est donc au tour du Cirque Alfonse de s'arrêter à Paris où il était déjà venu présenter son précédent spectacle, "Timber". Cette fois-ci, il s'appelle " Tabarnak" et plonge ses racines au plus profond de l'âme des "Canadiens français", comme on le sait très empreinte de religion, voire de religiosité.

Le public français, qui a perdu depuis longtemps la marque de ce catholicisme "rural", sera étonné et peut-être au début un peu surpris de cette moquerie permanente des symboles chrétiens qui finit par moments par être très ambiguë au point qu'on ne sait plus si l'on est dans une diatribe anticléricale ou si l'on est dans une nostalgie festive d'un temps où Dieu et les curés dominaient le Québec.

En tout cas, c'est tous habillés de blanc que les six membres actifs du Cirque Alfonse vont entamer un extraordinaire tour d'horizon iconoclaste. Ils seront pendant presque une heure et demie soutenus et maintenus dans un rythme infernal par un trio de musiciens, eux aussi en blanc, pour participer aux numéros dans ce happening permanent entre performances physiques et vocales.

Car il ne s'agit pas ici que d'exercices de force, d'équilibres ou de jonglerie : "Tabarnak" est également un spectacle musical. La chanteuse qui a l'attitude rock peut se retrouver en haut d'une pyramide humaine. Le barbu bondissant d'un mât ou sautant d'une balançoire peut se substituer au violoniste.

Cirque familial ayant agrégé des amis, le Cirque Alfonse est un cirque à l'ancienne projeté dans l'ère postmoderne. A la polyvalence des petits cirques, il ajoute les acquis des comédies musicales, des danses modernes et des opéras rocks.

Bref, "Tabarnak" est un spectacle total, rythmé au millimètre où l'on ne cherche pas forcément le sensationnel mais plutôt la cohérence avec le thème choisi. Commencé en chanson, le spectacle s'achève presque en Danse de Saint-Guy dans une gigue rock'n'roll où les instrumentistes sont à leur maximum pendant que les athlètes au physique de bons bûcherons canadiens pour trois d'entre eux se déchaînent.

Aussi prenant pour un amateur de cirque à l'ancienne que pour un partisan du "nouveau", "Tabarnak" fera passer à tous un excellent moment en compagnie d'une troupe de haut niveau, capable de beaucoup d'auto-dérision tout en distillant parfois une belle émotion (comme le moment où les "bûcherons" aux physiques de colosses barbus se transforment en derviches tourneurs).

Plein d'humour (à la québécoise) et toujours parfait quant aux prestations présentées, "Tabarnak" enthousiasmera tout le monde, même les prêtres et les anglophones.