Comédie dramatique d'après le récit éponyme de Younes Amrani et Stéphane Beaud, conception, adaptation et mise en scène de Charlotte Le Bras, avec Karim Abdelaziz, Hakim Djaziri, Agathe Fredonnet, Caroline Lerda et Charlotte Le Bras. En 2002, Younes Amrani écrit à Stéphane Beaud après avoir lu son ouvrage "80 % au bac". Emploi jeune dans une bibliothèque, il s'est reconnu dans le sujet traité par le sociologue. S'en suit une correspondance entre les deux hommes qui conduira à l'écriture commune de "Pays de malheur !" (Editions La Découverte)
C'est le chemin parcouru par Younès pour comprendre ce que ses échecs scolaires voulaient dire et comment rebondir après qu'il ait eu la preuve "sociologique" qu'ils n'étaient pas insurmontables, qu'ils n'étaient ni une fatalité ni le résultat d'une incapacité intellectuelle, que raconte sur scène Charlotte Le Bras.
Pour ce faire, elle a choisi un dispositif dans lequel Younès devenait une trinité d'acteurs : deux garçons ( Karim Abdelaziz, Hakim Djaziri), une fille ( Agathe Fredonnet). Par ailleurs, Stéphane Beaud apparaît, lui, de temps à autre, sous les traits de Caroline Lerda, alors que Charlotte le Bras assure le commentaire "in" et off".
Il s'agit ici de donner la parole à celui qui a refoulé tous ses échecs, les a intériorisés avant que la lecture du texte de Stéphane Beaud le libère. De la compréhension à l'action, la route sera longue avec comme résultat la fin du déni de soi et quelque chose comme une amitié, avec l'autre, le savant, le représentant à son corps défendant du "pays légal".
Comme dans les spectacles de Mohamed El Khatib, Charlotte le Bras décortique toutes les étapes avec bienveillance et humour. L'enfant des cités sort des stéréotypes construits pour le représenter, ceux qu'il a fini par accepter parce qu'il ignorait qu'un autre discours était possible.
Empathique et cool, "Pays de malheur !" convaincra les convaincus tout en renforçant dans leurs certitudes, les "autres", persuadés, eux, que le sociologue est la dernière incarnation de la "culture de l'excuse", concept fumeux mais efficace en ces temps sombres.
Charlotte Le Bras, un peu maladroitement, fait de Stéphane Beaud une figure plus que paternelle et presque divine. Celui que Younès écoute et à qui il veut plaire ou complaire. Dès lors, c'est à un nouveau déterminisme, celui que lui propose le démiurge sociologue, qu'il se soumet.
Alors que le "vrai" sociologue travaille sur le sujet des générations issues de l'immigration, qu'il le fait avec une rigueur scientifique tempérée par sa subjectivité citoyenne (voir son dernier ouvrage, "La France des Belhoumi" (Fayard, 2018), il apparaît dans l'adaptation de Charlotte Le Bras plutôt comme quelqu'un qui dit sa vérité au lieu de participer à l'accouchement de celle propre à Younès Amrani.
C'est la limite de ce spectacle nécessaire, sans doute causée par le principe de la "trinité". Younès étant supposé représenter tous les jeunes des "quartiers", le sociologue, lui, ne diffuse pas ses conseils à un seul "beur" mais à tous, ce qui est un contresens qui nie la relation réelle entre les deux hommes et réduit la démarche sociologique à quelques recettes pratiques.
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