Le temps donne parfois de l’épaisseur aux harmonies qui couvrent nos âmes de leur éloquente bienveillance. Voilà bien ce que l’on pourrait se dire à l’écoute de la musique de Oiseaux-Tempête.
Formé autour de Frédéric D. Oberland et Stéphane Pigneul en 2012, dans le sillage de la formation Le Réveil des Tropiques, ce que l’on nomme communément aujourd’hui un collectif va au fil du temps s’étoffer, au point d’attirer, notamment, dans ses filets l’ex chanteur de The Ex, G.W. Sok. Après une poignée d’albums dont l’excellence et la régularité ne sont plus à prouver, le "groupe" sort ce mois-ci son premier album Live, comme pour célébrer leur trilogie magnifique (si l’on omet l’album de remixes et l’album de raretés).
Pour définir la musique d’Oiseaux-Tempête, il suffit… de l’écouter. Là où l’on pourrait hâtivement les classer dans le genre fourre-tout qu’est le post-rock, le groupe a démontré sa capacité à croiser le fer avec les musiques influencées par l’Allemagne des années 70, le Field Recordings en tout genre, en ajoutant à sa musique des extraits d’interviews et de textes, d’une poésie mélancolique et ancrée dans une certaine réalité sociale, mais aussi un regard sur la géopolitique étonnant par le biais de sonorités venant de contrées orientales et sud-européennes. Les longues envolées où bataillent les guitares, les saxophones, les batteries, les percussions, les ondes électroniques, et la voix atonale mais profondément touchante de G.W. Sok ne cessent de se répondre sur disque, comme un dialogue qui s’installe entre les ressacs permanents d’une mer prête à se démonter.
Il était donc intéressant d’écouter ce que le groupe pouvait bien faire de leur matière première, constituant une musique que l’on devine déjà largement improvisée. Le silence quasiment religieux qui berce les morceaux tout le long de ce double album prouve déjà une chose : en Live, le groupe fascine. Dès le départ, leur musique a su sublimer ses influences et ne pas ressembler à tous les autres groupes de post-rock, notamment canadiens en multipliant les sonorités étonnantes et peu habituelles. Du rock bruitiste et puissant au jazz sous-jacent, tout y est représenté, dans un trekking solitaire au milieu des montagnes russes. On croise parfois une seule note, éparpillée sur plusieurs secondes dans un souffle retenu, puis les éléments se chevauchent, se déchaînent sans jamais se parasiter pour construire une citadelle ouverte sur le monde et sur la vie.
Le tour de force de ce disque consiste en la réinterprétation des titres issus de longues improvisations, déjà particulièrement bien ficelées sur disque. Le groupe parvient à convoquer l’ossature originelle tout en proposant une nouvelle forme, rappelant ainsi que sa musique est faite pour vivre et pour être vécue, à l’instar de la magnifique version de "Ütopiya / On Living", rendue ici plus onctueuse et consistante que dans sa version studio, pourtant déjà émouvante. En effet, le terrain fertile de cette musique propose très largement aux interprètes de s’abandonner pleinement à leur art, sans se soucier des contraintes de timing ou de formes, là où les Live sont souvent de simples compilations servant une fin de tournée, avec des acclamations attendues entre deux titres.
On navigue ainsi entre les différents albums, mais l’on croise aussi de nouveaux titres ou rares. Les terres arides du Liban ou de la Grèce, de l’Italie ou de la Turquie se confondent alors avec les réalités sociales qui se jouent au quotidien au travers d’un texte particulièrement éloquent. "Grasse matinée", poème de Jacques Prévert, recentre le débat sur le contexte social actuel avec finesse et crudité. C’est à nouveau G.W.Sok qui déclame ce texte sans concession, sans poésie excessive qui risquerait de porter atteinte à la lourdeur et l’importance du propos.
Enfin, en bonus, le gigantesque "Through The Speech Of Stars" rappelle l’importance pour le groupe de brasser les influences des musiques et des cultures du monde. Les guitares, comme toujours, finissent par rugir, broyées sous la marée de réverbération, soutenues par des claviers à la fois onctueux et rêches, des rythmiques atypiques et concassées, le tout solidement attaché à une basse lourde et profonde. L’ambiance post-apocalyptique et cinématographique semble happer le public que l’on entend avec parcimonie, durant ce Live au son irréprochable, au grain suffisamment organique pour donner la sensation d’être au milieu de la salle pour peu que l’on ferme les yeux.
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