Comédie dramatique d'après le pamphlet de Maurice Joly, mise en scène de Marcel Bluwal, avec Hervé Briaux et Pierre Santini. A l'écriture et à la mise en scène de "Dialogue aux Enfers", Marcel Bluwal présente une adaptation théâtrale du pamphlet publié en 1864 sous le titre "Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu" par l'avocat et journaliste Maurice Joly, qui use du procédé du dialogue imaginaire pour exprimer sa farouche opposition au régime impérial de Napoléon III qu'il considère comme un avatar du despotisme.
De cette conséquente confrontation "Le Prince" vs "De l'esprit des lois" sur la science politique opposant la démocratie despotique du premier à l'idéal démocratique du second, Marcel Bluwal a judicieusement sélectionné des morceaux choisis pour leur édifiante résonance contemporaine en faisant la part belle à la partition "machiavélique".
Ainsi, en est-il, et entre autres, de l'affaiblissement des pouvoirs législatif et judiciaire par l'inféodation des parlementaires et la fonctionnarisation des magistrats, du musellement de la presse, de la manipulation des masses par l'usage de l'antique "Panem et Circenses" qui a fait ses preuves tout au long de l'Histoire des Peuples, de la connivence avec les acteurs majeurs du capitalisme libéral et même de la société du spectacle avec la mise en scène du pouvoir personnalisé qui, intervenant certes dans un Etat de droit, mais dont le droit est dicté par le pouvoir exécutif, aboutissent au dévoiement de la démocratie.
La joute oratoire entre le philosophe des Lumières, juriste de formation descendant d'une illustre et noble famille de magistrats, prônant une politique vertueuse c'est-à-dire assujettie à la morale, et le stratège de la Renaissance d'origine petite bourgeoise, chantre du réalisme politique qui s'affranchit de la morale, s'avère sans issue.
D'autant que leur point d'achoppement, leur conception de la nature humaine, est irréductible : Montesquieu la croît perfectible en alors que Machiavel la pense au mieux, immuable, et au pire, que l'homme a plus d’entraînement vers le mal que vers le bien.
Elle se déroule dans un au-delà, au royaume des ténèbres ou au paradis des philosophes, dans un décor de bureau aseptisé élaboré par Catherine Bluwal, murs blancs, bibliothèque fantôme et meubles en plexiglas de la gamme Ghost Design, celui du studieux Montesquieu auprès duquel Machiavel sollicite un entretien pour éprouver ses réflexions et théories auprès de son cadet de deux siècles à l'esprit brillant mais aux antipodes du sien.
Sous la direction aguerrie de Marcel Bluwal, sévit un duo d'enfer (sic) qui dispense une captivante prestation de haut vol.
Pierre Santini campe un Montesquieu effaré, atterré, qui ploie l'échine sous les terribles coups de boutoir assénés par la percutance et la pertinence des arguments - et l'habileté spécieuse - de son interlocuteur.
Et, dans le rôle de Machiavel, Hervé Briaux qui a déjà démontré sa science de l'éloquence dans l'opus-solo "Tertullien" sur le fanatisme religieux, s'avère magistral.
Bien évidemment hautement recommandable et indispensable pour prendre la mesure du temps présent à l'aune des esprits visionnaires du passé. |