A chaque nouvelle réédition du Label Souffle Continu Records, l'émerveillement s'anime immanquablement. En effet, à la magie de l’éventuelle découverte ou de la redécouverte d'un trésor au fond des archives s'ajoute la saveur délicieuse de l'histoire qui entoure une œuvre rare mais toujours passionnante.
Déflorer ici l'histoire de ces deux rééditions vous ôterait une part de la joie qu'offre la lecture du livret exhaustif et bien documenté fourni avec les disques de Jean Cohen-Solal. Au-delà de l'histoire de cette réapparition, le livret rappelle que Solal, né en 1946 en Algérie, débarque en France dix ans plus tard. Il se décide à apprendre la flûte traversière, instrument qui va rapidement connaître un regain d'intérêt dans le monde du jazz avec Dolphy, Kirk pour les plus connus, mais va également connaître une passion chez les amateurs de rock, par le truchement de l'instrument échevelé de Ian Anderson.
Solal va, avec son frère, apprendre pendant des heures la maîtrise de son instrument, alors que son grand frère intègre le Groupe de Recherches Musicales. S’en suit une période de vaches maigres, durant laquelle il va tout de même croiser la route de Bayle, Ferrari, ou Parmegiani. Il va faire connaissance avec Jacques Rouxel, qui vient de demander à Robert, son frère, de travailler sur son nouveau dessin animé, Les Shadoks (il deviendra la voix des Shadoks.) Cette collaboration se poursuivra jusqu'au début des années 2000. Il va ensuite être engagé par Pathé pour travailler sur différents projets et il finira par enregistrer ses propres compositions.
La suite est à découvrir dans le fameux livret. Ce sont donc deux albums fantastiques que Souffle Continu réédite ici. Captain Tarthopom regorge de références autant que de qualités. A la hâte et sur le vif, on peut croiser Jethro Tull, des fanfares fantasques ou les Pink Floyd. Mais il faut absolument éviter le name dropping un peu fainéant concernant cet album. La symphonie de poche qui s'offre à nous comme une fleur s'ouvre de mille pétales, vaut bien plus qu'un simple comparatif. La fantaisie qui débute le disque et qui se termine au chant de gallinacés donne le ton et ouvre la route à un jazz rock tout en variations prog rock.
La force des grands est de pouvoir mêler sans complexe les multiples références sans jamais s'y arrêter vraiment, évitant ainsi de figer la source tout en saisissant l'essence des musiques en quelques secondes. Cette boîte à idées folles ne cesse de varier les plaisirs, groovant ainsi dans un tangage moelleux au cours du "Ab Hoc Et Ab Hac" qui doit autant au rock psyché des années 70 qu'au jazz décalé de Roland Kirk, avant que ne sonne un prélude Bach revisité aux sons des flûtes enchanteresses. Cette valse permanente d'influences effleurées qui jamais n’alourdissent la musique finit par nous conduire jusqu'aux Pink Floyd, avec pour référence le grand final de Saucerful Of Secrets.
Après avoir fait preuve d'une subtile virtuosité avec son instrument de prédilection, Solal joue de l'orgue avec majesté. Entre hommage et parodie, les "Mémoires d'un ventricule" s'envolent littéralement avant que "Fossette Surprise" ne termine sur une touche lumineuse et joyeuse. On songe alors à une sorte de troubadour en pattes d'éléphant, une plongée dans l'espace médiéval en spoutnik acidulé.
Un véritable voyage psychédélique que prolonge Flûtes Libres tout en proposant des contours plus exotiques. En effet, Solal s'exprime au sein d'une formation beaucoup plus resserrée. Gravitant autour de sa flûte, sitar et tabla recentrent le propos, rendant l'ensemble un peu plus minimaliste et obsédant. Si l'introduction rappelle à nouveau Jethro Tull, rapidement le ton change. Les contours semblent improviser des solo et des ritournelles sans fin fixées de façon obsessionnelle. Là encore, il est impossible de cibler un nom sur un style. Jazz rock, psyché, ou pop, les lignes de basse par exemple soutiennent un propos typiquement années 70, face aux arrangements de sitar et de tabla nettement plus intemporels.
La musique de Solal progresse alors vers une langueur savoureuse et enveloppée d'un onirisme doux et apaisant, passant par des couleurs pastorales imagées, et toute cette contreculture qui animait cet underground français passionnant, que l’on attend toujours de redécouvrir. Cette réjouissante suite de pastilles colorées transpire la joie et la légèreté, s'octroyant ainsi le luxe d'être une musique savante qui ne se prend jamais au sérieux.
Par ailleurs, rien ne reste jamais immobile et tout emprunte sans cesse de nouvelles voies à l'image de "Quelqu'un", longue plage de plus de quinze minutes, où les sonorités apparaissent par vagues successives, au gré d'une forme d'expression libre, mais plus inquiétante que sur les ambiances jusqu'ici proposées. Prouvant ainsi son étonnante diversité, la musique de Jean Cohen-Solal est à découvrir ou à redécouvrir, et le label de Souffle Continu prouve une fois de plus que le patrimoine français regorge de merveilles évanouies qu'il ne tient qu'à nous de réanimer ! |