Comédie dramatique de Alexeï Arbusov, mise en scène de Alain Prioult, avec Claire Guillon et François Guillot.
Pas la peine de ménager un faux suspense contenu dans un titre trompeur : Lydia et Rodion, respectivement patiente et médécin-chef du sanatorium de Riga, ne prendront jamais ensemble le bateau pour Lipaïa.
Mais ce qu'ils vont vivre pendant les trente et un jours de la villégiature de Lydia vaut largement un séjour à Lipaïa, puisqu'il s'agit ni plus ni moins que d'un "grand amour de vieillesse".
En frappant deux cœurs purs que les vicissitudes de l'existence n'ont pas vraiment rendu calculateurs, Cupidon a touché des jeunes gens déguisés en personnes du troisième âge.
Comme deux adolescents candides dans leur beauté naissante, ils ne savent pas quoi faire de ce sentiment amoureux qui les parcourt soudain. D'autant que Lydia doit rentrer à Moscou, qu'elle est mariée et qu'il n'y a aucune possibilité de transgresser l'ordre "naturel" des choses...
Pièce "soviétique", écrite par Alexeï Arbusov, "Le bateau pour Lipaïa" est fondée sur un argument très léger et pourrait très bien être signée par un grand faiseur anglo-saxon. Elle permet à deux grands acteurs de "faire un numéro inoubliable" et particulièrement à la comédienne qui incarne Lydia. C'est ainsi qu'en France le rôle fut créé par Edwige Feuillère et repris par Simone Valère et Geneviève Casile.
A la fois adaptatrice et actrice de cette nouvelle version, Claire Guillon joue parfois trop les modestes par rapport à cette généalogie. Elle a sans doute tort car, si elle n'a pas la "rouerie" d'une star de cinéma ou d'une ancienne sociétaire de la Comédie Française, elle a tous les atouts pour s'épanouir dans son personnage, et notamment celui de montrer un plaisir de tous les instants à jouer cette pièce qu'elle aime.
François Guillotte lui donne la réplique avec une conviction pleine de probité, mais lui aussi paraît parfois hésiter à en faire plus pour ne pas risquer d'en faire trop. Peut-être que dans quelques représentations, le couple aura gagné en aisance et donnera à partager toute l'émotion du texte.
Sans doute, aussi, ne sont-ils pas aidé par l'impossibilité de construire une atmosphère "russe" dans un théâtre coloré dédié à la commedia dell'arte. Il faut donc souligner le beau travail d'Alain Prioul qui fait fi de ces contraintes pour que l'oeuvre d'Arbusov ne souffre pas trop de ce contexte.
Il réussit à faire passer tout ce qu'il y a de tchékhovien dans "Le bateau pour Lipaïa". Curieusement, la référence n'est pas avec une œuvre dramatique, mais avec une nouvelle, la merveilleuse nouvelle intitulée "La dame au petit chien".
Impossible qu'Alexeï Arbusov n'y ait pas pensé et qu'il n'ait pas voulu donner à voir une version féminine de ce qui, adapté au cinéma par Nikita Mikhalkov sous le titre "Les Yeux noirs" permit à Marcello Mastroianni d'obtenir un de ses plus rôles tardifs.
Comédie douce-amère purement formelle, prétexte à beaux rôles, "Le bateau pour Lipaïa" est une belle machine théâtrale intemporelle. Il ne faut pas hésiter à la découvrir en gestation avec deux protagonistes concernés et talentueux.
|