Comédie dramatique de Yasmina Reza, mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia, avec Yasmina Reza, Christèle Tual, Jérôme Deschamps et André Marcon. En robe de chambre chez lui, un professeur de philosophie en dépression, spécialiste de Spinoza lâché par ses Maîtres, se rapproche de plus en plus de Schopenhauer...
Publié en 2005, "Dans la luge d'Arthur Schopenhauer", texte non spécifiquement destiné au théâtre, et que Frédéric Bélier-Garcia avait déjà créé une première fois à Théâtre Ouvert en 2006, rassemble quatre personnages : Ariel Chipman, le professeur de philosophie (André Marcon), sa femme Nadine (Yasmina Reza), l'ami Serge Othon Weil (Jérôme Deschamps) et la psychiatre (Christèle Tual).
Tour à tour, chacun viendra s'exprimer. Quatre visions différentes sous forme de monologues alternés où, à chaque fois, un autre personnage est présent dans une écoute totalement muette (mais non sans expression).
Dans un dispositif scénique trifrontal, le metteur en scène met les spectateurs autour et au plus près des comédiens, situés dans un lieu indéfinissable de terrasse surplombant la végétation élaboré par Jacques Gabel, comme un troisième regard qui viendrait juger les plaidoyers successifs.
Avec son style caractéristique décapant, Yasmina Reza s'attache à gratter le vernis des apparences. Elle écrit sur des petites choses qui détiennent de l'importance quant à ce qu'elles racontent des personnages (du port de la robe de chambre au bon usage de la dégustation des fraises, en passant par le choix d'une voiture entre Renault-Nissan ou Toyota...).
Dans la bouche de tels comédiens, ces parenthèses anecdotiques deviennent des moments jubilatoires. Et les réactions des "écoutants" valent également leur pesant d'or.
Ce quatuor dirigé avec précision par Frédéric Bélier-Garcia, avec une attention particulière portée à la gestuelle et le juste équilibre de cocasserie et de gravité, produit des face-à-face aussi réjouissants que surprenants.
Yasmina Reza dans des gestes à la fois amples et saccadés donne à Nadine Chipman un côté clownesque où elle excelle. Elle serait l'Auguste et Christèle Tual, le clown blanc. En pantalon et hauts talons, la psychiatre, d'une parfaite froideur jusqu'alors, perd soudain son flegme pour relater l'épisode d'une femme chargée de paquets la gênant dans la rue. Grandiose.
Jérôme Deschamps, le seul à n'avoir pas participé à la création en 2006, use de son efficace expressivité comme il le faisait lors de ses spectacles pour composer un Serge succulent.
André Marcon enfin, collant à merveille à l'univers de Yasmina Reza est un formidable Ariel Chipman dont la drôlerie ne fait que masquer l'angoisse. Une prestation éclatante.
Au final, le texte fait en creux le portrait d'une génération qui, dans une société de plus en plus consumériste et débarrassée des conventions d'usage, prend avec violence conscience de sa finitude. Symbole de cette déchéance, Ariel Chipman en chute libre, ne pourra qu'esquisser un dernier baroud d'honneur avant de jeter les armes.
Emmené par ce quatuor d'exception, "Dans la luge d'Arthur Schopenhauer" est une brillante fable contemporaine, subtile et éloquente, sur la vie qui s'étiole. |