Tous les mêmes les férus d’histoire, tous les mêmes. Des amateurs avertis capables de transporter un auditoire béat dans les antres puants de conspirations royales et de cachoteries consenties. Professeur d’histoire, Marie-Fleur Albecker incarne un de ces rares enseignants qui porte le feu des origines en son sein.
Quelques pages prises au hasard dans son premier roman soulignent l’insolence passionnée avec laquelle l’auteure retrace l’histoire : Et j’abattrai l’arrogance des tyrans. Placé en 1381, en pleine période qualifiée de Moyenne par des linguistes peu avertis de ce qui se joua réellement dans ces arrières âges, le roman brille par le pont qu’il bâtit entre le Moyen-Age et notre époque, qui n’a de contemporaine que le nom.
Les premiers mots ne s’embarrassent pas de languissantes descriptions ni de tristes femmes alanguies sur leur broderie au coin du feu, ni même de pénibles travaux dans des cultures ravagées par des puissants coursant un gibier affolé. Non, Marie-Fleur Albecker ne succombe pas aux clichés médiévaux illustrés par le cinéma, son décor à elle est l’âme de Johanna, simple mortelle au milieu des hommes.
"Voilà donc pour l’histoire officielle : un Roi de quatorze ans, des paysans largement pas libres, une guerre qui n’en finit pas, un Fléau Noir qui a décimé plus du tiers de la population, un pays de ploucs mais riche néanmoins."
Monde phallocrate qui sert encore de religion à bon nombre de "contemporains", 1381 fait regretter à Johanna d’être née dans un corps de femme. Loin de se résigner à sa condition, c’est le cœur rebelle qu’elle décide de se joindre à la marche sur Londres, cortège de révoltés se rebellant contre les puissants belliqueux avides de conquête payées du sang de leurs contribuables.
Féministe jusqu’au bout des ongles, Johanna va où ses convictions la poussent. A se poser des questions sur l’improbable éducation dont elle semble avoir bénéficié dans ces temps reculés où le père vendait ses filles à un mari. Mais là n’est pas la question, le cœur du roman se situe exactement dans la symbolique du personnage : pourquoi un même propos conspué dans la bouche d’une femme est approuvé si issu de la bouche d’un homme ? Qu’est-ce qui fait qu’un service trois-pièces change la portée d’un message ?
Coriace croyance terriblement contemporaine, où la misogynie à grande bouche fait parfois bouger plus de moutons que les égalitaires silencieux. Bien évidemment que le débat ne date pas d’hier. Mais encore. Il n’a pas fini de faire parler de lui.
Délicieusement truffé de formules anachroniques, Marie-Fleur Albecker met ses lecteurs face à leur définition de d’égalité avec effronterie. C’est sans baisser les yeux qu’elle tisse son roman entre injustices passées ordinaires et habitudes quotidiennes installées dont nous devrions avoir honte. Avec fougue et pédagogie, l’auteure nous amène droit vers la révolte, à se soulever contre les idées reçues et les préjugés d’ignorants… Rien que ça. |