Encore un nouvel auteur découvert avec les excellentes éditions Buchet-Chastel qui publie un texte inédit en français, œuvre d’Elie Chekhtman, écrivain Yiddish né en Polésie, auteur de textes courts publiés dans diverses revues Yiddish d’Union Soviétique. Sa carrière d’écrivain, débutée en 1920, fut interrompue par la Seconde Guerre mondiale puis par la répression stalinienne. Il est emprisonné en 1953, peu avant la mort de Staline. Une fois libéré, Chekhtman entame la rédaction d’Erev qu’il poursuivra après son installation en Israël.

Erev représente une fresque monumentale qui retrace l’histoire de la famille Boïar, du début du 20ème siècle à la Seconde Guerre mondiale, puis à la création de l’Etat d’Israël. L’ouvrage nous fait suivre trois générations à travers les destins d’une galerie de personnages tout à tour confrontés au tsarisme, au stalinisme et au Nazisme. Décimés par les violents soubresauts de l’Histoire, les Boïars vont se battre sans relâche pour leur survie.

J’ai pris le temps nécessaire à la lecture de cet ouvrage, un bon mois environ, en le lisant avec application, non pas pour me détendre, comme c’est le cas pour de nombreux bouquins, mais pour apprendre. Et il faut bien avouer qu’il faut du temps pour profiter de cet ouvrage de plus de 800 pages, de cette fresque ample et détaillée sur le peuple Yiddish.

Ce que j’aime particulièrement dans ce type d’ouvrage, c’est la superbe association faite de l’Histoire et de la littérature. Ce livre représente un formidable témoignage historique sur la culture des Juifs d’Europe de l’Est en mettant en lumière leur formidable ferveur intellectuelle et les passions qui animaient les communautés rurales et urbaines de la Polésie juste avant l’Holocauste.

Eli Chekhtman nous montre magnifiquement bien comment le peuple Yiddish vivait, de façon communautaire, en Polésie, une région à cheval sur les territoires russes, ukrainien, polonais et biélorusse. L’extermination tragique de ces populations y est retranscrite dans une langue exaltée, pétrie de réalisme autour d’un lyrisme bouleversant.

Tout est précis dans ce texte, les détails fourmillent sans jamais perdre le lecteur. On s’accroche à la plume de l’auteur sans fournir le moindre effort pour suivre l’histoire de cette famille dans la première moitié du 20ème siècle pour découvrir une culture Yiddish méconnue et un peuple courageux qui a beaucoup souffert.

On découvre la vie des shtetels et celle des juifs de la ville, embourgeoisés. L’auteur nous décrit les nombreux conflits intercommunautaires, nous présente un peuple engagé, souvent persécuté par les autorités.

Eli Chekhtman a mis près de trente ans à concevoir cet ouvrage et on comprend très vite pourquoi à la lecture du livre. Avec Erev, à la veille de…, il achève brillamment la mission qu’il s’était assignée, à savoir immortaliser et célébrer la culture Yiddish anéantie.