Un jour, dit la légende, il y eu un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour le jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : "Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu !". Et le colibri lui répondit : "Je le sais, mais je fais ma part !"

Lorsque vous croisez des personnes sans abri, vous pensez peut-être : "est-ce que je lui donne quelque chose ?". Parfois, gêné, vous détournez le regard ou vous pressez le pas, moins par indifférence que par impuissance. De son côté, la personne sans abri, consciemment ou pas, se sent invisible, reniée, rejetée.

De quoi a le plus besoin une personne qui vit à la rue ? De nourriture ? D’argent ? De logement ? Sans doute, mais le plus urgent pour elle est de rester en relation avec les riverains qu’elle croise chaque jour, pour ne pas perdre tout à fait son estime personnelle, la conscience de sa dignité et sa raison de vivre.

Pour nous faire réfléchir à cette situation, les éditions Première Partie viennent de publier un formidable petit ouvrage écrit à six mains avec Jean-Marc Potdevin, Anne Lorient et Lauriane Clément. Jean-Marc Potdevin est startuper, ancien vice président de Yahoo. Il a fondé le réseau entourage, qui offre des outils, notamment à travers les réseaux sociaux, pour tisser des liens de proximité entre les personnes sans abri et les riverains. Anne Lorient est présidente du comité de la rue d’Entourage. Elle a vécu de nombreuses années à la rue et l’a témoigné dans un précédent ouvrage, Mes années barbares. Lauriane Clément est journaliste, très investie auprès des personnes de la rue, auteure de l’ouvrage Ecrire liberté, A l’école des enfants migrants, que nous avons chroniqué l’an dernier.

L'ouvrage est construit en très grande partie autour de nombreux témoignages de personnes riveraines ou sans abri qui ont la plupart du temps engagé des petits pas d’amitié. Ils racontent des véritables rencontres entre personnes de la rue et riverains pour nous inviter à dépasser nos peurs et à nous mobiliser. Il nous offre des outils pour poser le bon geste au bon moment mais aussi pour lutter contre les nombreux préjugés concernant les sans abri. Il nous prouve que les sans abri ont aussi beaucoup de choses à nous apporter.

Le livre s’appuie sur l’expérience d’Anne Lorient, ancienne SDF, qui nous offre des clés lumineuses et pleines d’humanité. A cela s’ajoutent des pages d’infographie et de statistiques qui nous permettent de mieux comprendre la vie à la rue. L’ouvrage nous invite donc, qui que nous soyons, à dépasser nos barrières imaginaires, à faire bouger les lignes, à se rapprocher des gens qui cotoient le même trottoir que nous.

A force de gestes d’amitié réciproques, les personnes sans abri pourront garder la conscience de leur dignité et même retrouver leur place dans le monde. Il suffit donc d’un tout premier petit pas… un peu comme le petit colibri.