Comédie de Hervé Blutsch, mise en scène de Laurent Fréchuret, avec Stéphane Bernard, Jean-Claude Bolle-Reddat, James Borniche, Maxime Dambrin, Vincent Dedienne, Margaux Desailly, Pauline Huruguen, Tommy Luminet et Marie-Christine Orry. Avec "Ervart" de Hervé Blutsch, le metteur en scène Laurent Fréchuret propose découvrir un opus inédit d'un auteur sans doute méconnu de la majorité des spectateurs et dont la teneur explique sans doute la raison pour laquelle il était, jusqu'à présent, resté dans les cartons.
Laurent Fréchuret indique dans sa note d'"intuition" qu'il appréhende la partition comme "un poème organique" relatant l’histoire d’un archétype nouveau, celui du "super héros d’aujourd’hui" décliné en "Jaloux fantastique", et écrite comme une machine à jouer par un dramaturge pratiquant le théâtre comme "un génial bricolage".
De fait, "Ervart" présente comme un exercice de style qui, tel un patchwork pataphysicien qui flirte avec l'anti-théâtre, télescope tous les registres théâtraux, du vaudeville à l'absurde, et des situations diverses à la cohérence dramaturgique ténue - la jalousie conjugale - avec des personnages archétypaux dépourvus de toute psychologie s'agitant dans des situations parodiques.
Ainsi "Ervart" ressemble-t-elle une auberge espagnole : selon la sensibilité de chacun, et le large spectre interprétatif induit par une structure qui évoque le procédé de l'hyperfiction, ce salmigondis sera perçu comme une pantalonnade potache ou un rébus subtil pour amateur éclairé tel l'historien du théâtre Robert Abirached pour qui "Ervart est le Soulier de satin de l'absurde".
Les passionnés de cogitation intellectuelle seront ravis par le décryptage auquel invite ce décryptage de ce carambolage en forme de jeu de piste regorgeant d'instillations elliptiques, ainsi avec le chef des services secrets en fauteuil roulant calqué sur le "Mère Grand" du feuilleton-culte "The Avengers".
Mieux encore avec le sous-titre "Les derniers jours de Frédéric Nietzsche" qui entre en résonance avec la présence cartoonesque du philosophe allemand entendu comme un terroriste métaphysique dont les opus majeurs ne sont plus que des bombinettes faisant "pschitt" dans la poubelle urbaine de l'histoire, évoque le trio de vaudeville érigé en trinité spirituelle qu'il formait avec Paul Rée et Lou-Andréas Salomé, cette dernière figurant, sur une photo de Jules Berne de 1882 en cocher à cravache avec les deux hommes attelés et renvoie au cheval qui a précipité sa décompensation psychotique.
Toutefois, pour excitante qu'elle puisse être pour l'esprit et nonobstant la virtuosité des officiants, cette approche, de surcroît élitiste et conjuguée à l'empilement méta-théâtral, résiste mal à la durée de deux heures du spectacle.
Au jeu, dans une scénographie de portes sur roulettes de Alain Deroo et Laurent Fréchuret, ce dernier a réuni autour de Vincent Dedienne dans le rôle-titre, une troupe motivée qui s'évertue sans démériter.
Des comédiens aguerris - Jean-Claude Bolle-Reddat en impassible majordome ionescien, Stéphane Bernard en agent secret zoophile, Marie-Christine Orry épatante en comédienne sans emploi qui s'incruste sur le plateau - et la jeune génération avec Pauline Huruguen (l'épouse femme fatale de roman noir), Maxime Dambrin (le psychanalyste-citationniste), James Borniche (l'ombre de l'amant), Thomas Luminet (Nietzsche) et Margaux Desailly (l'enfant). |