Drame de Hakim Bah, mise en scène de Frédéric Fisbach, avec Ibrahima Bah, Maxence Bod, Madalina Constantin, Lorry Hardel, Nelson-Rafaell Madel et Marie Payen.
Troisième volet de la trilogie d’Hakim Bah "Face à la mort", "Convulsions" propose - dans une mise en scène de Frédéric Fisbach - une exploration de la violence, physique et verbale, et de la cruauté et monstruosité des hommes dans une écriture inspirée de la tragédie grecque "Thyeste" de Sénèque.
Six comédiens sont sur scène lorsque le public entre dans la salle. Trois hommes (Maxence Bod, Lorry et Nelson-Rafaell Madel) et trois femmes (Ibrahima Bah, Madalina Constantin et Marie Payen) parlent entre eux, regardent; quelques minutes avant que la représentation ne commence, il semble presque qu’ils scrutent les personnes venues assister à la représentation.
D’abord l’assassinat du frère bâtard de Thyeste et Atrée dont ne parviennent que les voix, les grognements, les rires, les hurlements, puis le silence. Répliques rythmées par les comédiennes réunis au devant de la scène et face-public de leurs "Et Thyeste dit… et Atrée dit… Thyeste dit… Atrée…" et de décrire la torture puis le meurtre perpétré. Leur neutralité s’altérant, presque malgré elle, tant les atrocités dites et faites imprègnent et envahissent la salle.
Les comédiens sont en constante interaction avec le public; se relayant ou ensemble, ils parlent, expliquent, questionnent entre les scènes dont les transitions rapides contribuent au rythme énergique que la partition ne perd jamais. Les scènes sont accompagnées d’un narrateur qui échange avec les personnages verbalement, avec le public par des mimiques, mais reste dans une présence invisible qui n’interfère en rien avec l’action en scène.
Les comédiens s’échangent les rôles, le narrateur devient Atrée qui devient Thyeste qui va s’asseoir rejoindre l’ancienne Erode remplacée par une nouvelle. La trame se suit ; discours terrible des femmes rassemblées sur le parcours typique d’une femme battue.
La description de cette descente en enfer, des insultes, des coups et des crachats où leurs voix se relaient et la réalité est dite sans ménagement doucereuse de la langue est saisissant.
L’écriture d’Hakim Bah autant que la mise en scène de Frédéric Fisbach ne visent pas à ménager, mais à exposer la monstruosité dans sa contemporanéité. Cette pièce nous entraîne dans un tourbillon tragique où un comique réel s’insinue dans quelques scènes et n’en rend la représentation que plus complète.
Parfois noir, ce comique est aussi au cœur d’un des plus grands quiproquos de la pièce qui mène Erode à subir une torture immonde, et les frères Thyeste et Atrée à s’adonner à l’anthropophagie.
Puissamment politique dans son verbe comme dans sa mise en scène, "Convulsions" pose la monstruosité de notre monde actuel et interroge le public sur la limite à atteindre avant le que l’action contre ne se passe.
Que voir et entendre avant que l’horreur dans laquelle est plongé l'humain n’engage une révolte organique ? Cette dimension organique et terrible, magnifiquement interprétée et exposée par cette troupe dans cette tragédie, engage ce profond questionnement.
Une immanquable et bouleversante performance d’une puissance extrême. J. Wattel
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