Comédie dramatique de Luc Tartar, mise en scène de Cécile Tournesol, avec Tigran Mekhitarian (ou Théo Askolovitch), Louka Meliava, Cécile Métrich, Julien Muller et Cécile Tournesol. Anna Tombe est une fille de 15 ans, élève au Lycée professionnel Arthur Miller, aux yeux vairons et surdouée qui plus est.
Deux différences qui lui attirent les foudres de ses congénères Ceux-ci vont jusqu'à tagguer la façade de la maison familiale, ce qui fait soudain prendre conscience aux parents de la souffrance endurée par leur fille.
Toute l'action de "Les Yeux d'Anna" se joue à l'intérieur d'un cube à trois faces (scénographie de Bruno Collet) qui est principalement la maison de la famille Tombe, ouvert sur les côtés de panneaux verticaux tournants.
Séquencé comme un film à l'aide d'indications sur l'écran de fond qui indiquent le lieu de l'action ou le moment, la pièce voit se débattre des parents largués : un père qui ne sait pas voir la dérive et le mal-être de sa fille et dont la pression sociale de l'entreprise aura raison de lui (sous forme d'un licenciement).
Quant à la mère, dont on apprend qu'elle n'a même pas désiré la naissance d'Anna, elle tombe des nues en lisant le journal intime de sa fille, ce qui montre le manque de contact entre elles.
Anna ne devra son seul soutien qu'à son meilleur ami Rachid, moqué lui aussi pour son homosexualité, qui sera pourtant le seul à comprendre son mal-être et servir de bouclier contre la violence des harceleurs.
Anna, qu'on ne verra jamais mais dont on entend les mots écrits - des mots pour crier et dont l'absence prend des formes diverses (textes, images sur l'écran, évocation par les autres personnages) - hante le spectacle de sa personnalité sensible et lucide, le teintant d'une sourde émotion.
Les comédiens portent ce drame contemporain à un haut niveau de malaise. Les parents, d'abord, qui sont campés par Cécile Métrich et Julien Muller et oscillent tous deux entre grotesque et pathétique. Cécile Tournesol, elle, compose une Barbara (ex-collègue du père devenue DRH) glaçante à souhait représentant la violence de l'entreprise.
Tigran Mekhitarian (en alternance avec Théo Askololovitch) incarne un Rachid touchant et très juste. Quant à Louka Meliava, il est une vraie révélation dans le double rôle de Clémentin, l'élève harceleur et de Walter, le travesti, montrant en deux personnages, tout le désarroi d'une génération perdue.
Cécile Tournesol propose avec cette pièce une plongée dans le harcèlement ordinaire et toute la violence du monde contemporain. Le texte très "écrit" de Luc Tartar se révèle une photographie éloquente de notre époque, de son intolérance et de la déshumanisation qui s'y est insinuée, décennies après décennies.
Un spectacle fort et d'utilité publique.
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