Réalisé par Yeo Siew Hua. Singapour/France/Hollande. Thriller. 1h39 (Sortie 6 mars 2019). Avec Xiaoyi Liu, Peter Yu, Jack Tan (II), Yue Guo, Ishtiaque Zico, Kelvin Ho, George Low, Andie Chen et Luna Kwok.
Après Eric Khoo, auteur de "Hotel Singapura" et de "La Saveur des Ramen", Yeo Siew Hua est le deuxième réalisateur originaire de Singapour à s'imposer sur les écrans français.
Son second film, "Les étendues imaginaires" est en effet un film marquant, pas forcément aimable ni totalement compréhensible, qui reste en tête et pose question quelques semaines après l'avoir vu.
Déjà en soi, Singapour ville-État en perpétuelle mutation est dépositaire d'une modernité inquiétante où il ne fait pas bon appartenir aux esclaves modernes venus de toute l'Asie pour construire ces gratte-ciels qui sortent chaque jour d'un littoral bétonné.
Dans "Les étendues imaginaires" de Yeo Siew Hua, ce monde est décrit dans une première partie presque documentaire. L'inspecteur Lok enquête sur la disparition de Wang, un travailleur immigré chinois, et découvre les piteuses conditions dans lesquelles ces travailleurs sont logés et survivent à la spartiate. Alors qu'ils érigent une ville "postmoderne", ils sont parqués dans des quasi-bidonvilles, sans aucun droit véritable, avec une épée de Damoclès au-dessus d'eux : l'impossibilité de repartir, leurs passeports étant confisqués par leurs patrons ou les autorités singapouriennes.
Le film de Yeo Siew Hua est très angoissant sur le sort de ces immigrés et, dans un premier temps, on prendrait presque comme une bonne chose, le moment où le film bascule vers un certain "fantastique social" quand l'inspecteur Lok débarque pour son enquête dans un cybercafé qui était fréquenté par Wang.
Dès lors, le film prend une autre tournure qu'on pourrait qualifier de "lynchienne" avec la présence mystérieuse de Mindy, la jeune femme qui s'occupe du lieu. L'inspecteur Lok croit que Wang y survit ou est devenu une entité virtuelle.
Peu à peu, le film change d'ambiance : au glauque de l'envers du décor singapourien succède un autre glauque, celui des gamers en veille permanente, celui d'un autre monde virtuel pas plus édénique.
"Les étendues imaginaires" de Yeo Siew Hua est un film dans lequel il faut se laisse emporter sans chercher à tout en saisir. Peter Yu est un inspecteur Lok hanté par le fantôme qu'il recherche et sa performance halluciné est très convaincante.
La critique qui a déliré sur "Burning" de Lee Chang Dong devrait comparer le film coréen avec le film singapourien : ce dernier contient un vrai mystère, prolonge sans le copier le cinéma antonionien.
"Les étendues imaginaires" de Yeo Siew Hua laisse son spectateur vraiment lessivé. Entre dégoût pour cet ultra-libéralisme à son paroxysme, qui consomme les hommes comme le Moloch les enfants, et fascination pour le nouvel enfer virtuel, ses couleurs et ses mélodies sucrées, permettant à ses accros d'oublier cette triste réalité.
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