Spectacle conçu et mis en scène par Jan Fabre interprété par Lore Borremans, Annabelle Chambon, Cédric Charron, Anny Czupper, Conor Doherty, Stella Höttler, Ivana Jozic, Gustav Koenigs, Chiara Monteverde, Andrew Van Ostade, Pietro Quadrino, Annabel Reid, Ursel Tilk, Irene Urciuoli et Kasper Vandenberghe. Avec "Belgian Rules, Belgium Rules", le metteur en scène, chorégraphe et plasticien anversois Jan Fabre dégoupille les clichés attachés à la Belgique réduite à un menu "junk food" frites gaufres et bière et aux histoires belges souvent considéres comme la caricature d'une stupidité atavique alors qu'elle révèle une qualité rare, l'humour surréaliste.
Relevant de surcroît le défi de l'oeuvre d'art total, il livre un spectacle pluridisciplinaire époustouflant aussi jubilatoire et festif que poétique et érudit, iconoclaste et libertaire, réaliste et utopique, qui consiste en une performance marathonnienne de près de quatre heures qui passent comme un rêve éveillé pour une ode d'amour - un amour inconditionnel et néanmoins lucide - pour son pays peuplé, indique-t-il, "de misérables fraudeurs, de bouffeurs invétérés de patates, ou bien encore de porcs en smokings et autre clergé des gardiens véreux".
Celle-ci se déroule en quatorze chapitres déployés en plus d'une quarantaine de séquences pour retracer de manière chronologique, entre splendeurs et misères, le modus vivendi atypique et quasiment unique d'un pays de contrastes, de contradictions et de confrontations liés à son origine, issu au milieu du 19ème siècle de la révolution et de la folie du théâtre, de l'agrégat de trois communautés - dont témoignent les couleurs du drapeau national avec lenoir du charbon wallon, le jaune de la pomme de terre flamande et le rouge de la brique allemande - à l'héritage historique et culturel différent et où coexiste une multiplicité de nationalités.
Des splendeurs inscrites dans l'Histoire de l'Art avec les maitres de la peinture, Van Eyck, Brueghel l'ancien et Rubens aux phares de la peinture moderne de Félicien Rops, James Ensor, Paul Delvaux à René Magritte avec la femme en bleu de "Magie noire" devenue l'équivalent féminin du Manneken-Pis célébrant la pluie omniprésente sur le plat pays mais dont il décline les oeuvres en tableaux vivants en résonance avec des événements historiques et socio-politiques.
Ainsi la "Vénus en manteau de fourrure" de Rubens se dévoile arborant un fusil rappelant que la Belgique figure en tête de peloton de l'industrie de l'armement comme les "Noeuds roses" Paul Delvaux renvoie à l'industrie du sexe et comme à la tragédie de Ypres, ville gazée pendant la Première guerre mondiale, le banquet à la Ensor célébrant l'anniversaire de la mort.
Jan Fabre revisite à cette même aune la culture populaire belge de prédilection, le carnaval dans ses variantes locales depuis le célèbre Carnaval de Binche inscrit par l'Unesco au patrimoine oral et immatériel de l'Humanité avec ses Gilles bouffons ensabotés portant un casque de plumes digne d'une meneuse de revue jusqu'aux Noirauds de Bruxelles qui rapellent la colonisation belge en Afrique.
Mais point trop ne faut en dévoiler pour en laisser la primeur au spectacteur dont l'attention est sans cesse sollicitée, aucun élément n'étant anodin ou purement décoratif, car Jan Fabre explore des thèmes sensibles tels ceux de l’identité nationale et des dérives sociétales.
Homme de scène, il dresse également un panorama du théâtre du 20ème siècle - avec le théâtre de la cruauté, celui de la mort et celui de l'image en espérant la venue du théâtre de l'amour - dispensé par un hérisson, animal emblématique de la Belgique qui , comme le pigeon qui souffre du paradoxe entre amour des colomphiles et haine des autres le vilipendant comme "conchieur de toits", constitue le héraut de judicieux intermèdes anthropomorphiques.
Appuyés par les partitions textuelle de Johan de Boose et musicale de Raymond van het Groenewoud et Andrew Van Ostade largement inspirée des rythmes fanfaronesques et les superbes costumes confectionnés par Kasia Mielczarek, Maarten Van Mulken et Jonne Sikkema, fresques, défilés, parades, tableaux animés, apparitions et évocations empruntent tous les registres du clown au drame, et, à l'outrance carnavalesque et au grotesque répondent le sublime d'une esthétique époustouflante et la maîtrise rythmique tel pour le ballet des drapeaux.
Les quinze danseurs-performeurs talentueux de la troupe de la Compagnie Troubleyn/Jan Fabre, auxquels se joint Andrew Van Ostade pour quelques mémorables apparitions, déploient une énergie et une résistance physique que Jan Fabre éprouve sans ménagement à trois reprises, lors de l'énoncé des "tables de la loi" de la belgitude, les fameuses règles édictant interdictions et obligations auquel il propose de substituer celles des possibles, dans d'épuisantes scènes répétitives dont le fitness collectif avec deux casiers à bouteilles de bière faisant office de poids. Et, avec le pigeon devenu colombe de la paix, de conclure qu'il est possible d'être belge ! |