Comédie dramatique de Anton Tchekhov mise en scène de Jean-Luc Jeener, avec Pierre Bès de Berc, Didier Bizet, Laurence Hétier, Yves Jouffroy, Pauline Mandroux, Rémi de Monvel, Isabelle Miller, Selma Noret-Terraz, Rémi Picard, Thomas Sans et Dominique Vasserot. "La Mouette" de Anton Tchekhov constitue une de ses partitions majeures dont la richesse dramaturgique, et même si elle est fréquemment représentée et hors la peinture des moeurs provinciales et la satire de l'infatuation et la posture de l'artiste, tant dans le théâtre que de la littérature, ne cesse de se révéler au fil de l'approche des différentes mises en scènes proposées.
Avec celle réussie et pertinente de Jean-Luc Jeener se démarquent non pas tant l'incommunicabilité des êtres que leur égocentrisme, et, surtout, la conception de l'auteur sur l'amour au féminin. En effet, chacun des personnages féminins aime, voire adule, de manière masochiste celui qui ne l'aime pas et se comporte avec une cruauté sadique face à celui qui l'aime comme si ne suffisait pas l'indifférence envers un amour transi.
Ainsi Macha qui aime sans espoir Konstantin, même mariée avec un brave homme qu'elle traite pis qu'un chien, le traque pour prendre sa dose de souffrance. Nina aime "plus que jamais" l'homme qui l'a abandonné et clame cet amour à Konstantin dévasté.
Quant à la grande actrice Arkadina, elle s'humilie auprès de son amant le fringant écrivain en vogue en l'implorant pour qu'il ne la quitte pas tout en nourrissant à l'égard de son fils une destructrice relation ambivalente d'amour-haine.
Car dans "La Mouette", il n'y a pas d'amour heureux et, nonobstant la qualification par son auteur de "comédie comportant peu d'action et cinq tonnes d'amour", en l'espèce, l'amour inaccompli tue - et réellement - avec le suicide d'un jeune homme (Rémi de Monvel) privé de l'affection maternelle et amoureux désespéré de la douce Nina qui rêve d'une vie d'artiste et de gloire (Selma Noret-Terraz).
Le drame à double détente se déploie en deux temps, deux étés de la villégiature de la mère de ce dernier, Arkadina (Laurence Hétier) qui, en compagnie de son amant Trigorine (Thomas Sans), vient se reposer dans la propriété familiale où vit son fils Konstantin et son frère (Didier Bizet) avec pour témoins l'ami médecin Yves Jouffroy), l'intendant (Dominique Vasserot) et sa femme (Isabelle Miller) ainsi que leur fille Macha (Pauline Mandroux) et son prétendant (Pierre Bès de Berc) et un serviteur (Rémi Picard).
Remarquable directeur d'acteur,Jean-Luc Jeener a opté pour un tempo lent qui, non seulement matérialise la densité de l'atmosphère d'ennui tchekhovienne, mais correspond à l'écriture originale saturée d'indications de pauses et de silences qui permettent à chaque comédien, par la dramaturgie du corps de révéler les intentions intériorisées des personnages dont le point commun tient à la dolorosité de l'âme.
Ainsi, et entre autres car tous les comédiens tiennent leur partition, Yves Jouffroy, en médecin vaincu par la rationalité ne peut être qu'un observateur désenchanté qui désamorce l'angoisse par une pirouette, Thomas Sans tempérant le profil du vil séducteur et de l'écrivain-vampire par la lucidité quant à sa qualité de petit maître et Laurence Hétier en narcissique arrogante qui cherche à s'étourdir tout en sachant brûler ses dernières cartouches.
Pour les rôles de Konstantin et de Nina, le choix de Jean-Luc Jeener s'avère judicieux : Rémi de Monve campe parfaitement un amoureux musséien gagné par le spleen romantique et hanté par la mort et Selma Noret-Terraz impressionne par sa maîtrise de la candeur ingénue. |