"On regardera la pauvreté en face
On regardera l’amour
On regardera l’humanité en face
On se regardera"
Co-produit par le toujours pertinent et éclectique label nancéien Ici d’ailleurs... (Mendelson, Trupa Trupa, Angélique Ionatos, Matt Elliott, Michel Cloup Duo) et le label de Ray Bornéo Petrol Chips (Olivier Depardon, Lomostatic, etc.), ce nouveau disque résulte d’une rencontre hasardeuse entre le prolifique Gontard! et le beatmaker parisien Vincha.
Dans son précédent disque, Gontard! chantait "La France des épiciers", le voilà poursuivant cette exploration d’un monde social dont le délabrement est déjà très avancé. Ici, nous sommes plongés dans un futur proche (en 2029), à Gontard-sur-Misère, petite ville de 33 000 habitants qui nous est présentée, ainsi que le projet de ce concept album, dès l’ouverture du disque ("Dans ma ville") sur un beat hip-hop piano jazzy qui grossit et gagne peu à peu en puissance et en intensité.
Il s’agit moins ici de se contenter d’une fiche Wikipédia sur une ville, démarche facile mais qui peut permettre de "vendre des galettes", précise Gontard, que de comprendre ce monde social, cette ville, depuis le point de vue des habitants, il s’agit de développer une "minutie documentaire". Et pour cela, nous suivrons le parcours de plusieurs personnes.
Gontard- sur-Misère, ancienne ville industrialisée, a subi la disparition des structures publiques mais "heureusement" le très entreprenant Kevin Malez est là, sorte d’ambassadeur de la start-up nation. Avec Kevin Malez, nul besoin de délégué du personnel, non car la start-up c’est cool, un peu new age aussi…
A Gontard-sur-Misère, on y croise beaucoup de mères célibataires, des jeunes qui pointent à la mission locale et des jeunes filles le "destin" est bien souvent tracé : ce sera CAP petit enfance.
Les habitants n’auront pas la révolution prolétaire, l’usine ferme et le fils dit de son père "que fera papa sans sa pointeuse" et ce chanteur de variétés, Gontard! lui-même, que le "succès a oublié" et à qui l’on disait "tu es presque Brel" ne le deviendra pas. Ici, comme dans certains ailleurs, même l’amitié et la fidélité se voient fragilisées : "nous n’avons plus d’amis, nous avons des partenaires". Le tableau est sombre.
Musicalement, Vincha développe, sous influence de J Dilla ou d’Apollo Brown, un hip-hop hyper classe. Evolutive et changeante, sa musique n’est pas que de simples boucles, les beats y sont riches, expressifs, amples, copieux et variés, cela au sein d’un même morceau ; et Gontard! fait du spoken word, pas moins expressif, comme à l’ordinaire.
Citons en exemple le morceau "2029" avec ce vieux piano en arpège sur air classique, vieille guitare et craquement de disque vinyle : esprit bastringue, et saloon déglingué.
Pour rester dans une "tradition hip-hop", nous serions tentés d‘écrire que ce Gontard! a trouvé de sacrées punchline. Petit florilège :
- "tu t’es marié avec ce type aussi laid qu’un employé de banque dans un western"
- la fille de la mairie est partie avant que le personnage de la chanson n’ait eu "le temps de lui faire l’amour dans l’ascenseur social" ("La fille de la mairie")
- "le travail c’est comme l’hypnose tu vas dedans tu sais pas toujours pourquoi puis quand ça s’arrête ça fait tout drôle" / "faut prendre les bonnes idées partout, surtout à droite" ("Kevin Malez")
- "quand je rentre à la maison je suis une star de la chanson"
ou encore :
- "ici les mères de famille murmurent jusque dans leurs orgasmes, peur de déranger, les murs sont pas épais et la réput, tu sais".
Ce concept album, le premier d’une série à venir, interpelle et marque par le sentiment d’urgence qui transpire dans tous les morceaux. 2029 est un album court et percutant et aussi percutant que pertinent.
Ce disque fait à partir et avec autrui, dans une démarche compréhensive et non explicative, marque-t-il un nouvel âge de la chanson réaliste et engagée ? Un nouvel âge ou la poursuite d’un projet initié par Florent Marchet avec son album Rio Baril ? Je ne sais pas. Mais quoi qu’il en soit, même s’il n’y a "pas de Michel Ange à Gontard-sur-Misère », il y a tout de même Gontard!, ce qui n’est déjà pas mal du tout.
Gontard!, à l’instar de son frère Chevalrex (musicien, graphiste et "patron" du label Objet Disque) creuse un singulier sillage dans le vaste champ déjà bien fécond de ce qu’il est convenu d’appeler chanson française.
Et si Chevalrex est plutôt Anti slogan, seul face à "écoute ses mouvements du cœur" toujours "quelque part en bordure", et se tient loin de "la révolution qui passe", Gontard!, lui, est bien ancré dans une difficile et âpre réalité sociale, y prend part, et en prend sa part. Si l’un aborde davantage l’intime, l’intériorité, dans une vaine mélancolique, l’autre explore le monde social d’un ton plus révolté sur des musiques plus urbaines.
Mais tous deux, et c’est heureux, évitent les slogans ; tous deux, enfin, partagent cette "leçon sur les vaincus" que Chevalrex retient : il "est inutile de sans cesse être docile". Chevalrex et Gontard! font donc la paire !
Le printemps, les giboulées de mars, les balades au soleil ... la vie presque parfaite s'il n'y avait pas tant de méchants qui font la guerre. Pour se détendre, cultivons nous !. Ajoutons à cela nos chaines Youtube et Twitch et la semaine sera bien remplie.