Réalisé par Arnaud Desplechin. France. Policier. 1h59 (Sortie le 21 août 2019). Avec Roschdy Zem, Léa Seydoux, Sara Forestier, Antoine Reinart, Chloé Simoneau et Betty Cartoux.
Comme il faudrait enlever les étiquettes sous les toiles, il faudrait voir les films sans les génériques. Ainsi dès que l'on sait qui est l'auteur de "Roubaix, une lumière", le jugement sur ce "petit" policier qui vise à être une série B, dans le sens américain du terme, en est altéré.
On sait Arnaud Desplechin clivant, encensé par une critique toujours dithyrambique, boudé éternellement à Cannes et sujet à des haines cinéphiliques viscérales.
Or, ici, il cherche à s'échapper à sa réputation de réalisateur maniéré aux constructions alambiquées pour s'attaquer à la chose la plus difficile : le film de genre tout simple. C'est donc étouffer dans l'oeuf sa tentative de renouvellement que d'y voir mécaniquement un nouveau "chef d'oeuvre".
"Roubaix, une lumière" serait plutôt une synthèse improbable entre tous les sous-genres du policier à la française. Partant de Melville avec un héros mutique, l'omniprésent commissaire Daoud incarné avec une sobriété sans failles par Roschdy Zem, il bifurque vers le film de commissariat type "L 626" de Bertrand Tavernier qui raconte plusieurs histoires en même temps.
Il poursuit vers le policier aux longs interrogatoires, entre le Pialat de "Police" et la Maïwenn de "Polisse". Enfin, plus étonnement, il rend également hommage au Zidi des "Ripoux", puisque, à l'instar de Philippe Noiret, son commissaire est un turfiste qui rêve d'avoir des chevaux...
Et puis, aussi, comme souvent dans le polar, c'est une ville qui est le personnage féminin compagne de solitude du commissaire. Ici, c'est Roubaix. On est dans le "Nord" (à prononcer avec l'accent de Galabru dans "Bienvenue chez les ch'tis").Un Nord autobiographique où Desplechin traque le cliché et le trouve en ouvrant chaque porte.
Cela marche remarquablement avec la séquence Philippe Duquesne, acteur comme Mocky les aimait, cela pose plus problème quand il s'agit du couple Léa Seydoux-Sara Forestier sur le fil du rasoir.
Peut-être aurait-il fallu deux actrices non professionnelles, un peu comme Séverine Caneele dans "L'Humanité» de Bruno Dumont, autre tentative policière nordiste, cette fois-ci baroque, par un cinéaste côté dans le top 5. Car Sara et Léa jouent et même surjouent là où Roschdy sous-joue, orientant le film vers une théâtralité moins naturiste que le reste.
On pourrait dire que c'est le résidu déspléchien du film, le seul moment où la bataille d'Hernani habituel opposera ceux qui adhèrent et ceux qui décrochent. Mais, dans l'ensemble", "Roubaix, une lumière" d'Arnaud Desplechin est un film qu'on pourra voir sur une grande chaîne à une heure de grande écoute.
On soulignera l'ascétisme zen de Roschdy Zem qui fait le grand écart avec son propre film, sorti il y a peu, "Persona non grata" où son personnage de gitan exubérant et vicieux est l'antithèse du commissaire Daoud. En voyant "Roubaix, une lumière", on est même pris de remords en se disant que le ratage radical de "Persona non grata" aurait mérité lui aussi de l'indulgence.
Et l'on en vient presque à rêver à ce qu'aurait pu être "Roubaix, une lumière" d'Arnaud Desplechin s'il avait, comme Melville avec Bourvil dans "Le Cercle Rouge" (cité clairement dans le film quand Daoud nourrit son chat), pris pour policier un ch'ti comme Dany Boon pour conter la misère roubaisienne.
Il aurait sans doute convaincu enfin le jury cannois et permis à Boon de démontrer qu'il est un très grand comédien, notamment en vampirisant les scènes avec les deux filles précitées.
Mais on ne peut pas refaire un film et l'on se contentera de voir sans prévention ni appréhension le polar synthétique d'Arnaud Desplechin. |