Découverte avec son premier ouvrage intriguant, L’histoire de mes dents, paru en 2017 aux éditions de l’Olivier, je retrouve avec plaisir l’écriture de cette jeune auteure née à Mexico, vivant à New-York. C’est avec un ouvrage d’un tout autre registre qu’elle revient, Archives des enfants perdus, livre qui a rencontré un grand succès critique et médiatique dès sa parution aux Etats-Unis. Traduit en français par Nicolas Richard, ce sont les éditions de l’Olivier qui nous permettent d’avoir la chance d’en profiter.
L’ouvrage qu’elle nous propose a une réelle dimension sociale et historique qui m’a particulièrement intéressé. Portée par la superbe écriture qu’on lui connaît (si on a déjà lu un de ces ouvrages comme c’est mon cas), l’auteure s’appuie sur une histoire romancée à laquelle se mêle une histoire nationale autour des migrations sud-américaines vers les Etats-Unis.
Une voiture roule sur les routes américaines. A l’intérieur, une femme, un homme et leurs deux enfants issus d’unions précédentes. Ils ont une destination mais deux buts. Le père veut se rendre en Apachéria, l’ancien territoire historiquement habité par les indiens Apache. La mère, elle, veut voir de ses propres yeux la réalité de ce qu’on appelle, à tort, "la crise migratoire" des enfants sud-américains immigrant seuls aux Etats-Unis pour rejoindre leurs parents. Ils ont une destination, deux buts, mais le même souci : rendre compte d’un territoire, de ce (et ceux) qui le traverse (et l’ont traversé), des transformations successives que lui a imprimées l’histoire.
Au milieu de ce couple qui s’apprête à prendre des chemins différents se trouvent leurs deux enfants. Leurs interrogations, les photos qu’ils prennent, le regard qu’ils portent sur le monde donnent un autre sens à ce voyage. Encore plus quand ils demandent à leur mère de leur lire Elégie des enfants perdus, un petit livre rouge écrit par une mystérieuse autrice…
Loin du roman assez loufoque qui m’avait fait connaÎtre cette auteure, Archives des enfants perdus explore des horizons beaucoup plus sociaux, nous proposant une superbe réflexion sur les traces des enfants venus d’Amérique centrale qui, une fois arrêtés, se retrouvent déambulant et perdus à la frontière américaine.
Archives des enfants perdus est un livre engagé, un ouvrage qui dresse un sombre bilan de ce que l’on a coutume d’appeler le rêve américain en critiquant la politique migratoire des Etats-Unis. Roman sur les migrants, roman sur le couple aussi et la séparation, roman sur la place et le rôle des archives dans une société, le livre de Valeria Luiselli est d’une densité incroyable, ne pouvant laisser indifférent le lecteur.
Comme dans son livre L’histoire de mes dents, la grande force de l’ouvrage, au-delà de son contenu, tient dans sa construction originale, particulièrement brillante. Autour du road trip de cette famille recomposée qui se décompose au fil des pages, l’auteur a inséré l’histoire de jeunes migrants qui traversent seuls la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique.
La disparition des deux enfants de la famille recomposée permet à l’auteur de confondre leur monde à celui des enfants migrants. A cela s’ajoutent les archives, auquel l’ouvrage apporte une place centrale puisque chaque personnage les stocke dans une boîte spéciale, archives qui sont détaillées dès le début du livre. Et enfin, l’ouvrage est aussi truffé d’allusions à des œuvres littéraires, d’une alternance de narrateurs particulièrement intéressante qui fait porter la voix des adultes mais aussi des enfants.
Alors voilà, cet ouvrage de Valeria Luiselli est un magnifique livre, une véritable curiosité de lecture qui nous fait beaucoup réfléchir tout en nous rappelant que l’histoire des Etats-Unis n’est pas toujours celle qu’on nous raconte et que son avenir risque beaucoup de dépendre de la façon dont elle va gérer sa politique migratoire. |