Si vous ne le saviez pas déjà, en dehors de ma passion pour la littérature, j’ai pour activité principale l’enseignement, en histoire-géographie, dans un collège de province. Depuis quelques temps, j’entends beaucoup parler des neurosciences, des sciences cognitives et de tout un tas de charabia qui sont censés permettre de renouveler les méthodes d’enseignement tout en aidant les élèves à étudier. Curieux de nature, je suis donc attentif à ces nouvelles méthodes mais aussi assez méfiant vis-à-vis de leur réelle utilité.
Alors quand j’ai appris qu’un ouvrage sortait et avait pour thème principal les neurosciences dans l’Education nationale, je me suis immédiatement lancé dans sa lecture. L’ouvrage est écrit par un spécialiste des sciences de l’éducation, Philippe Champy qui est aussi un fin spécialiste du système scolaire.
Avec son ouvrage, Vers une nouvelle guerre scolaire, Philippe Champy nous propose un décryptage sans équivalent du fonctionnement de l’Education nationale. En analysant les rapports de forces qui sous-tendent la redoutable réforme dirigiste et centralisatrice conduite par Jean-Michel Blanquer et la haute technocratie élitaire dont il est le représentant, il documente et montre comment l’invocation de la "révolution numérique" et le recours aux neurosciences servent d’abord à renforcer leur contrôle sur les enseignants, au détriment de la liberté pédagogique.
L’auteur nous montre comment sous la Cinquième République, l’unification formelle de l’école, de la maternelle au bac, n’a pas mis fin à la ségrégation sociale et aux énormes écarts de réussite scolaire. Face à cette situation, on a vu des hauts responsables de droite et de gauche alterner des mesures contradictoires, rendant aléatoire la perspective d’une démocratisation de l’Ecole. A partir des années 2000, une partie croissante des hauts technocrates de l’Education nationale s’est ralliée à l’agenda néolibéral. Ils mobilisent dans ce cadre le numérique et les neurosciences, présentés comme source de modernisation, pour accentuer en réalité la pression sur les enseignants, rogner leurs autonomies professionnelles et leurs pouvoirs d’action.
L’ouvrage m’a particulièrement passionné, confirmant les doutes que je pouvais avoir vis-à-vis des neurosciences. Philippe Champy nous retrace les origines du grand reformatage de l’Ecole avec surtout sa mise en œuvre par notre ministre de l’Education. Les exemples sont nombreux et particulièrement pertinents tout comme le sont les attaques contre la liberté pédagogique des enseignants et les manuels scolaires. L’ouvrage traite du métier d’enseignant et de son évolution et l’auteur montre bien la défiance des responsables de l’Education Nationale envers les manuels scolaires et leurs utilisateurs, à savoir les enseignants.
L’auteur traite de la mise sous tutelle du numérique éducatif, des tentatives de marginalisation des auteurs et des éditeurs scolaires et surtout de la prise de pouvoir larvée d’un pool de neurochercheurs prétendant dicter leurs méthodes pédagogiques aux enseignants. Une fois encore, derrière tout ca, l’étendard du néo-libéralisme, la volonté de réformer à moindre coût en rognant sur l’autonomie collective des enseignants.
Ce grand reformatage, qui maintient les privilèges élitaires en l’état, voire les renforce, s’accompagne d’une reprise en main dirigiste et centralisatrice sans précédent. Il impose à tous les acteurs de l’Ecole une prise de conscience et une réaction d’ampleur, face au risque avéré d’une nouvelle guerre scolaire. On espère donc que ce livre sera lu par le plus grand nombre, en particulier les professeurs mais aussi les parents d’élèves pour éviter que les technos et les neuros ne s’emparent de notre école en imposant leur choix néo-libéraux. |