Spectacle de théâtre musical conçu et mis en scène par Stéphan Roche, avec Eric Jetner, Stéphan Roche, Eléonore Beaulieu, Marion Cador, Henri De Vasselot et Pascale Moe Bruderer. Pour porter sur scène dans le registre du théâtre musical la passion violente et destructrice entre deux poètes du 19ème siècle, Arthur Rimbaud et Paul Verlaine, projet initié par le couturier Pierre Cardin et son neveu Rodrigo Basilicati Cardin, le comédien, chanteur et metteur Stéphan Roche signe le livret de "Rimbaud Verlaine" écrit pour six interprètes en charge de neuf personnages .
Il relate de manière chronologique leur relation tumultueuse et tragique qui s'achève brutalement et irrémédiablement lors d'un épisode violent qui mènera Verlaine en prison condamné davantage pour moeurs outrageantes que pour les coups de feu tirés sur Rimbaud.
Tragique car Rimbaud, "le voleur de feu", "le poète aux semelles de vent", selon certains, monstre de pureté, merveilleux voyou ou rebelle incarné, choisit Verlaine comme compagnon pour vivre "l'aventure de la poésie" sur le chemin du "dérèglement des sens" et "les amours de tigres" et devenir des fils du soleil selon le mythe du paganisme parnassien.
Mais, même si leur amour est partagé, il y a erreur sur la personne car Verlaine ne constitue pas, si ce n'est dans l'art poétique, son alter ego. Issue de la bourgeoisie aisée, il en a l'esprit et s'il s'encanaille pour des soirées fortement alcoolisées et ne refusera ni la garçonnade ni ce qu'il nomme le "roman de vivre à deux hommes", il éprouve des difficultés à les rendre compatibles avec une conventionnelle vie de famille.
Rimbaud et Verlaine qui figurent dans l'imaginaire collectif comme un chétif adolescent et une vieille barbe, tels que peints en 1978 par Fantin-Latour dans le tableau "Un coin de table", alors que seules dix années les séparaient, sont incarnés respectivement par Eric Jetner, dont le physique athlétique correspond à celui décrit par Verlaine lui-même comme un Ardennais bien bâti, et Stéphan Roche qui embellit la physionomie considérée comme peu gracieuse de Verlaine.
Tous deux convaincants, ils sont entourés de comédiens-chanteurs aguerris : Marion Cador, l'épouse de Verlaine, Eléonore Beaulieu, dans les rôles des mères des deux protagonistes, Henri De Vasselot, en charge de ceux de l'ami de Verlaine, d'un témoin et surtout de l'ambitieux juge enquête de notorité qui condamna Verlaine à la prison, et la danseuse Pascale Moe Bruderer en maléfique et verte fée Clochette.
Le spectacle se déploie dans la scénographie magistrale imaginée par Rodrigo Basilicati Cardin constituée de la seule projection, réalisée par la visual-designer Sara Caliumi selon le procédé du mapping vidéo, sous les lumières crépusculaires de Paolo Bonapace, d'oeuvres de la plasticienne Samantha Ornon réalisées à partir de collages photographiques pour signifier les différents lieux de manière quasi fantas(ma)tique.
Le spectacle constitue assurément une curiosité. Non point par sa facture qui ressort au théâtre musical avec une narration à plusieurs voix, chaque personnage apportant son point de vue, de brèves scènes dialoguées et de chansons comportant équitablement solos, choralité et duos enflammés sur une musique de Daniele Martini qui s'inscrit, hors pour le poème "Chanson d'automne" de Verlaine dispensé sur une mélodie debussyenne, dans la veine stylistique de la comédie musicale contemporaine.
Mais par la mise en scène assurée par Stéphan Roche qui en brise les codes par usage d'un anachronisme tant temporel que stylistique. Ainsi, avec les costumes féminins quasi heroic fantasy conçus par Pierre Cardin et les chorégraphies de danse moderne d'ibédience r'n'b assurées par Pascale Moe Bruderer, et, surtout, en procédant à des ruptures de registres, du drame au burlesque en passant par le kitsch, notamment en twistant chaque scène grave par une pirouette comique.
Et cet inattendu melting-pot porté par une troupe émérite, s'il risque de décontenancer les puristes du genre, s'avère résolument roboratif.
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