La Froggy's Session d'Orouni a été tournée dans la librairie du 12ème arrondissement, Atout Livre. Après la fermeture, seuls dans le magasin, ce sont les couvertures et les titres des romans, des essais, des fictions et des guides qui ont servi de fil rouge à cette conversation, parfois un peu à l'emporte-pièce, avec Rémi Antoni, chanteur, conteur et tête pensante d'Orouni. Ou comment des mots et des images nous ont permis de mieux appréhender Partitions, le nouvel album du groupe, aux mélodies ciselées et au songwriting brillant.
Nous voici devant "À la recherche du temps perdu" de Proust. On trouve tout dans Proust. J'en retiendrais un humour élégant. Il y a évidemment de l'élégance dans ton nouvel album Partitions, mais y a-t-il de l'humour ?
Orouni : Je ne crois pas. Ce n'est pas facile de mélanger l'humour à la musique. Didier Super le fait très bien par exemple. C'est respectable, mais moi, je n'ai pas forcément envie d'en mettre. Une des chansons de l'album raconte comment un homme qui a envie de mourir va continuer à vivre. Ça peut être considéré comme de l'humour noir, ou un peu décalé.
L'incipit de "La recherche du temps perdu", c'est "Longtemps, je me suis couché de bonne heure", un récit à la première personne. Partitions est-il un disque éminemment personnel ?
Orouni : C'est un disque avec beaucoup de personnages. Je raconte l'histoire de personnes, et ces morceaux de vie ont un intérêt pour moi. Il y a plus de moi dans cet album que sur Grand Tour. Sur Grand Tour, je me distanciais de mon propos. Je racontais des histoires à la troisième personne, même si c'était moi qui les vivais. Ici, ce ne sont pas forcément des choses que je vis personnellement, mais je les raconte souvent à la première personne. Dans une des chansons, je prends même la place de Nora, l'héroïne d'Une Maison De Poupée (ndlr : pièce de théâtre de Henrik Ibsen). Certes, c'est Emma (Broughton) qui chante cette chanson, mais c'est moi qui l'ai écrite. J'essaie de rentrer dans la peau des personnages.
Toujours dans Proust, il y a énormément de personnages. Dans Partitions, il y a beaucoup de prénoms. Pourquoi donc ?
Orouni : J'ai même été obligé de me limiter. Déjà, il y a quatre titres de chansons qui comportent un prénom. Mais le prénom ne désigne pas exactement un personnage humain, par exemple dans "Charles and Sylvester", Charles est le nom d'une rivière et Sylvester celui d'un âne qui, en plus, à la fin, se transforme en caillou. Nora désigne une personne. De même qu'Henriette qui est un personnage avec des origines littéraires.
Si on passait aux guides de voyage ?
Orouni : Je vais devenir intarissable.
Qu'est-ce qui t'inspire le plus ?
Orouni : Je vais essayer de trouver un guide sur le Mali qui est un pays où je suis allé en 2009... Par contre, voilà un guide sur le Brésil. C'est un voyage que j'ai réalisé et qui m'a marqué. De plus, João Gilberto est décédé il y a peu de temps. C'est un pays immense qui m'a énormément inspiré.
Pourtant, les musiques du monde ne sont pas quelque chose qu'on retrouve forcément dans tes compositions.
Orouni : En effet, on ne retrouve pas cette inspiration sur Partitions. Par contre, sur Grand Tour, j'avais utilisé des instruments comme des kalimbas, un balafon que j'avais acheté au Burkina Faso... Grand Tour parlait des expériences que j'avais vécues en voyage. Sur Partitions, je n'avais pas envie de me répéter. Je ne voulais pas être identifié comme le mec qui utilise des instruments exotiques sur ses disques. J'y reviendrai peut-être, mais plus tard.
Justement, en regardant les guides, quels sont les pays où tu as envie d'aller ?
Orouni : Actuellement, l'Ouzbékistan. J'aime beaucoup cette architecture, les mosquées, les couleurs... Actuellement, c'est un peu difficile de voyager en Asie Centrale en raison de la situation politique. Mais sinon l'Iran est un pays qui m'attire aussi beaucoup. En 2015, j'avais pris un mois pour visiter l'Italie du Sud. Aujourd'hui, j'aimerais visiter l'Italie du Nord. Moi qui suis corse, j'ai l'impression que ça fait partie de ma culture. En plus, c'est facile car très proche de la France. J'ai envie d'horizons très lointains, mais de choses très proches aussi.
Dans les romans, tu te dirigerais vers quel rayon ?
Orouni : En littérature française, j'aperçois "Le sermon sur la chute de Rome" de Jérôme Ferrari, un écrivain corse qui a eu le Goncourt avec ce roman. Ça me parle un peu, car il essaie de faire le lien entre la Corse dont je suis originaire et le continent... Ce qui n'est pas toujours facile.
Il y a Stendhal, dont j'ai beaucoup aimé "Le rouge et le noir" et" La Chartreuse de Parme". Il est à l'origine du syndrome de Stendhal qui est le fait de perdre ses moyens lorsqu'on est confronté à trop de beauté, dans un musée, devant un tableau ou dans une église. Et c'est quelque chose que j'ai moi-même ressenti, notamment en Italie. Je me suis retrouvé confronté à des lieux, pas forcément uniquement en Italie d'ailleurs, où tout était tellement beau que je ne savais plus où donner de la tête. J'avais même fait un blog qui s'appelait Le Syndrome de Stendhal où je racontais mes voyages. Néanmoins, le recueil "Voyages en Italie" de Stendhal me parle particulièrement. Étonnamment, sur Grand Tour, aucune chanson n'évoque Italie. Ça viendra peut-être plus tard.
Continues-tu à mettre en ligne tes photos ?
Orouni : Oui. Sur Instagram, j'ai un compte qui s'appelle phot[O]rouni. Je viens d'y publier une série sur Marseille. Avant, j'avais proposé une série Tanger. C'est moins mon fonds de commerce qu'auparavant (rires).
Malheureusement, les BD sont dans une autre boutique. Mais je voulais te parler de "L'été des Bagnold" de Joff Winterhart, parce que Belle and Sebastian vont réaliser la BO de l'adaptation cinématographique. N'as-tu pas ras-le-bol qu'on évoque presque systématiquement Belle & Sebastian quand on parle de ta musique ?
Orouni : Ce n'est même pas dans ma bio parce que, pour moi, c'est une évidence que c'est une influence. C'est un des groupes qui m'ont donné envie de faire de la musique. C'est un groupe très talentueux, donc non ça ne me dérange pas.
Pour continuer avec la BD, si tu devais comparer ta musique à un trait, à un style graphique, comment la définirais-tu ?
Orouni : Je lis peu de BD, mais je ne pense pas que ce serait de la ligne claire. Ce serait certainement quelque chose de plus coloré, de plus baroque. Ce serait une BD où le dessinateur propose une planche très structurée, avec des cases très colorées, avant de s'autoriser la liberté de faire quelque chose de différent qui prend toute la page suivante. En tout cas, c'est ce que j'essaie de faire dans mes albums. Les chansons courtes s'enchaînent avec d'autres, plus longues, certaines structurées et d'autres plus folles.
Si on se dirige vers le rayon des essais, sociaux et politiques, est-ce que c'est quelque chose qui peut trouver un écho dans ta musique, ou est-ce quelque chose qui est compartimenté ailleurs dans ta vie ?
Orouni : C'est quelque chose qui peut trouver une place dans les paroles. Par exemple, je vois le Grand Atlas des Empires Coloniaux. Il y a bien entendu des questions qu'on se pose quand on voyage : quelle attitude adopter ? Comment entrer en contact avec les gens, en les respectant tout en restant soi-même ?
Plus loin, je vois des essais sur le féminisme. "Nora" est une chanson qui parle d'une femme pas du tout bien traitée par son mari. Ce ne sont pas forcément des thèmes faciles à aborder, mais mon écriture se nourrit des thèmes sociétaux. Le terrorisme, par exemple, est un thème plus récent, que je n'ai jamais encore abordé, et je ne sais pas si je le ferai un jour. Ce sont des sujets qui m'intéressent. Je ne vais pas forcément mettre les pieds dans le plat en abordant frontalement ces sujets-là, mais peut-être en parler à travers des personnages qui se posent des questions, ou une tranche de vie d'un personnage. Une chanson n'est pas une dissertation de sociologie. Il faut que ce soit évocateur et que ça réveille des émotions.
Les biographies de musiciens ou de chanteurs sont-ils des ouvrages qui t'intéressent ?
Orouni : Oui, j'en ai lu beaucoup. À un moment, je me passionnais pour les Beatles. Il y a quelques années, pour mon anniversaire, je n'ai reçu que des livres sur les Beatles. Je suis désormais incollable sur le sujet (rires). J'ai lu ensuite le premier volume des Chroniques de Bob Dylan. Je crois que le deuxième volume n'est pas encore sorti à ce jour. C'est une autobiographie sur ses premiers pas dans le milieu artistique quand il arrive à New York. J'aime vraiment beaucoup ce genre d'ouvrages.
Tu trouves que ça éclaire son oeuvre de connaître la vie de l'artiste ?
Orouni : Bob Dylan raconte ce qu'il a voulu faire, donc ce n'est pas seulement autobiographique. Il raconte ses influences, explique des paroles. Dans ce cas-là, ça aide vraiment à mieux appréhender ses chansons. Il y a aussi le livre "En studio avec les Beatles" de Geoff Emerick, qui raconte comment les sons ont été trouvés, qui est un ouvrage biographique mais aussi un peu technique. Ce que McCartney a fait dans les années 60 dans sa vie privée m'intéresse assez peu, mais les passages sur la conception artistique je trouve ça plutôt intéressant.
(en continuant à se balader dans la librairie...)
Orouni : Tiens, un ouvrage de Noam Chomsky. Il y a peut-être aussi un essai de lui sur la linguistique. "Charles and Sylvester" trouve son origine dans un documentaire de Noam Chomsky sur le rapport entre le signifiant et le signifié.
Je t'ai aussi parlé du théâtre à travers le personnage de Nora, qui est l'héroïne de "Une maison de poupée" d'Ibsen.
D'ailleurs, as-tu connu ce texte d'abord par la lecture ou en le voyant interprété sur scène ?
Orouni : J'ai d'abord lu le texte. Ensuite, je l'ai découvert sur scène à Mains d'Oeuvres dans une adaptation moderne où le rôle de la femme et de l'homme étaient inversés.
Quant à la dernière chanson de l'album, "I was a paratrooper", elle est inspirée par la vie de Romain Gary vraiment d'un point de vue biographique. Comme Partitions aborde souvent le terme de la dissociation, ça m'intéressait de parler de Romain Gary et de son alter ego Émile Ajar. Le texte m'est venu après avoir lu un petit texte qu'il avait publié à la fin de sa vie, "Vie et mort d'Émile Ajar" chez Gallimard. Ça donne pas mal de clés sur ce double qu'il s'était créé. La démarche qu'il a entreprise, on la retrouve chez pas mal de musiciens qui enregistrent avec de nouveaux groupes sous un nouveau nom pour se refaire une virginité artistique. Ça pose de nouveau la question du nom et de ce qu'on y attache.
Chez Romain Gary, j'aperçois "Clair de femme", qui est un très beau livre, mais aussi un superbe film de Costa-Gavras. Est-ce que ça t'intéresse de t'emparer d'une œuvre et d'essayer de l'adapter et la faire tienne ?
Orouni : J'ai du mal à faire des reprises. J'attache plus d'importance à la composition qu'à l'interprétation. Mais je trouve ça intéressant de voir comment une œuvre peut évoluer en fonction des idées qui peuvent être amenées par d'autres, au cinéma, au théâtre, ou en musique. C'est plus une curiosité intellectuelle. Personnellement, quand je découvre une chanson par une reprise, j'ai tendance à comparer les autres versions que j'entends de cette chanson, même l'originale, à la version que j'ai découverte en premier.
Je vois "Petit pays" de Gael Faye. Est-ce un ouvrage que tu aurais envie de lire ?
Orouni : Je ne l'ai pas lu. Mais oui, ça m'intéresserait. D'abord, c'est un musicien. C'est souvent intéressant de suivre le parcours d'artistes interdisciplinaires. Et aussi, il parle du Burundi, un pays que je ne connais pas et dont je suis curieux.
Pour terminer par une note sur les voyages, quand joueras-tu sur le bateau "le Petit Bain" ?
Orouni : C'est une salle que j'aime bien. J'espère qu'on aura l'occasion d'y rejouer prochainement.
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