Comédie dramatique d'après la nouvelle éponyme de Dostoievski, mise en scène de André Oumanski, avec Anna Stanic, Nicolas Natkin, Rose Noël et Maxime Gleizes.
En 1969, Robert Bresson avait adapté pour l'écran "La Douce", une nouvelle de Dostoïevski, devenue "Une femme Douce". Le rôle de la jeune femme qui se suicide était tenu par Dominique Sanda, à l'aube d'une carrière prometteuse. En 2017, le cinéaste ukrainien Sergei Loznitsa l'adaptait à son tour sous le même titre que Robert Bresson. Mais si on compare les deux versions cinématographiques et l'adaptation que propose d'André Oumansky de "Douce" pour le théâtre, on peut dire sans conteste qu'il est arrivé à un résultat voisin de celui obtenu par le cinéaste français. Avec une économie de moyens qui tire la nouvelle vers une épure extrême, il est resté complètement dans l'univers de l'écrivain russe. En moins d'une heure, on est totalement pris dans les rets de ce drame intimiste conté par un prêteur sur gages (Nicolas Natkin) qui par étroitesse d'esprit est sans doute passé à côté d'un bonheur conjugal qui aurait illuminé sa vie terne et médiocre. Il faut dire, et il ne s'en cache pas quand il commence à se définir en quelques mots, qu'il est un homme déchu, un ancien militaire de petite noblesse qui a démissionné de l'armée et qui s'est retrouvé à exercer cette tâche ingrate, voire déshonorante. C'est là dans son échoppe qui se résume sur scène à un grand meuble noir derrière lequel il trône, qu'il a rencontré la jeune fille blonde (Anna Stanic) qui vit chez ses tantes dans une grande pauvreté et qui, de temps à autre, vient se délester de quelques colifichets pour quelques roubles. Poussé par sa domestique (Rose Noël), le prêteur sur gages commence à voir en cette jeune fille diaphane un parti possible, et l'impossible mariage finira par se réaliser... Pourtant, son passé qu'il a enjolivé l'oblige à ne pas se jeter corps et âme dans cet amour inespéré qui pourrait le sauver de sa triste condition. L'arrivée d'un de ses anciens condisciples (Maxime Gleizes), un militaire dévoyé, va encore plus l'inhiber, en y ajoutant une injuste jalousie. Dostoïevski a tissé un récit dans lequel on s'englue avec d'autant plus de plaisir qu'on y sent que le drame annoncé au départ n'était pas un prétexte, qu'il prend au fur et à mesure de son déroulement une vraie force théâtrale. Même si la fin est annoncée dès le départ, on a le vain espoir que le prêteur sur gages, encore dans le bel âge et beaucoup plus sympathique qu'il n'y paraît, saura comprendre cette jeune fille prête à faire sa vie avec celui qui la sauve d'une existence de future vieille fille ou de mal mariée à un boutiquier de bas étage. Défendu par un quatuor brillant, avec une "Douce" vraiment forte malgré son apparente fragilité, et un prêteur sur gages pas encore momifié par sa profession, le texte fait son chemin chez le spectateur. Sans atteindre le génie stylistique de Bresson, le travail d'André Oumansky sert convenablement Dostoïevski. On le félicitera de n'avoir pas "étiré" le texte au-delà du nécessaire et d'avoir préféré un spectacle qui peut justifier chacune de ses presque soixante minutes à une œuvre qui ne serait qu'un inutile remplissage. Un joli moment de théâtre volontairement classique. |