Comédie dramatique de Brigitte Jaques-Wajeman d'après les oeuvres de Molière et Louis Jouvet, mise en scène de Toni Servillo, avec Toni Servillo, Petra Valentini, Francesco Marino et Davide Cirri. En 1986, au programme de l'Athénée, était jouée avec en tête de distribution Philippe Clévenot, "Elvire Jouvet 1940" de Brigitte Jaques-Wajeman, pièce tirée de "Molière et la comédie classique" de Louis Jouvet.
Elle contait comment Louis Jouvet faisait travailler à Claudia, une de ses élèves de troisième année, la scène 6 de l'Acte IV de "Dom Juan" de Molière, dite des "Adieux d'Elvire". Dans cette version, Claudia était jouée par Maria de Medeiros. On peut les retrouver dans la captation qu'en fit Benoît Jacquot.
C'est donc aujourd'hui, le grand Toni Servillo, l'acteur phare du cinéma italien contemporain ("La Grande Bellezza", "Viva la liberta") qui met en scène cette pièce, traduite par Giuseppe Montesano sous le titre d'"Elvira", et qui, surtout, interprète le Maître.
Tout de suite, quand il entre et parle, le spectateur français découvre un être chaleureux et sans doute moins cassant que le protagoniste de "Drôle de drame". En italien, l'acteur qui joue Jouvet a un avantage sur son homologue qui le joue en français : il n'a pas besoin de choisir entre conserver sa voix où, quand même, "imiter un peu" la fameuse diction de Jouvet, sa manière particulière de faire résonner la langue française.
Servillo, qui s'impose d'emblée sans contestation, a choisi la proximité à la fois avec son actrice et le public, puisque les deux ou trois premiers rangs de l'orchestre ont été transformés en banquettes pour le metteur en scène.
Servillo est souvent de plain-pied dans la salle à quelques centimètres des premiers spectateurs. Il n'élève pratiquement jamais la voix, se fait didactique mais pas professoral, ne semble jamais s'énerver contre le trio qui répète la scène. Mais si Sganarelle et Dom Juan sont présents pour donner la réplique, incarnés par Francesco Marini et Davide Cirri, c'est avant tout le personnage d'Elvira jouée par Petra Valentini qui compte pour Jouvet-Servillo.
Sur la scène presque vide se détache un gros poste de TSF, et le spectacle commence par une chanson de la partenaire de Jouvet dans "Hôtel du Nord", Arletty qui chante "Mon cœur de Parisienne". Quelques notes d'accordéon, suivies d'un couplet qui aboutit au refrain : "Aimer sincèrement de mon cœur tendre..."
Tout le propos de Jouvet à Elvire va tourner autour de comment Elvire peut encore aimer sincèrement Dom Juan alors qu'elle sait que celui-ci est un libertin, comment son sentiment et sa raison vont s'opposer dans cette scène capitale. Les notes sténographiées par Charlotte Delbo retracent toutes les séances qui vont s'étaler de février à septembre 1940, date où la voix d'Hitler remplace celle d'Arletty et annonce le départ de Jouvet pour l'Amérique du Sud.
Si l'on en croit la pièce, l'interdiction professionnelle qui touche Claudia victime des lois raciales a fortement contribué à cet exil.
Toute la pièce bruit sourdement de cette tension et l'on sent que ce travail très méticuleux et contradictoire sur une seule scène cache autre chose que la description de la méthode Jouvet. En s'accrochant à l'art, on oublie peut-être un peu l'Histoire en train de se faire ou plutôt de se défaire.
Petra Valentini, toute en énergie gracieuse, fournit une belle réplique à oni Servillo qui ne joue en rien les séducteurs et est tout à son travail. Son Jouvet est un pur chercheur de formes, un créateur à la recherche du jeu juste et dénué d'arrière-pensées. Il est convaincant et d'une sobriété sans faille, sans doute bien supérieure à celle de son modèle.
En passant d'une langue à l'autre, le texte n'a rien perdu de sa saveur et l'on en sort envoûté par l'acteur et par ce qu'il a fait justement comprendre de ce qu'être acteur veut dire. |