Nul besoin de toujours se plonger dans des ouvrages récents pour prendre du plaisir de lecture. Il existe encore de nombreux anciens ouvrages qui méritent d’être lus, à condition d’être parfois mis de nouveau en avant. C’est ce que viennent de faire les éditions Métailié qui ont eu l’admirable idée de nous proposer la réédition d’un ouvrage majeur sur la montée du totalitarisme nazi.
A la plume de cet ouvrage, une certaine Anna Seghers, née à Mayence en 1900 et morte à Berlin en 1983. Membre du parti communiste allemand, elle est arrêtée par la Gestapo en 1933 puis relâchée. Ses livres sont interdits en Allemagne et brûlés. Elle quitte donc l’Allemagne pour la France, puis le Mexique. En 1947, elle retourne en Allemagne.
Ce roman, La septième croix, a été publié pour la première fois aux Etats-Unis en 1942 où il a connu un immense succès : une édition de poche faisait même partie du paquetage envoyé aux soldats américains partis libérer l’Europe. En France, il est publié dès 1947 dans une traduction que l’auteur avait refusée, reprise en poche en 1986, les ayants droit n’ont pu en interrompre la vente qu’en 2010.
Dix ans plus tard, les éditions Métailié nous proposent une nouvelle traduction de cette œuvre incontournable avec une postface de Christa Wolf, l’histoire d’une cavale à travers l’Allemagne pendant la montée du totalitarisme.
L’histoire de cette cavale est au départ celle de sept Allemands. Sept Allemands antinazis, affectés à la colonne d'extermination d'un camp de la région rhénane, s'enfuient dans la brume. Trois sont rapidement repris. Un quatrième, un acrobate, est abattu sur un toit. Un vieux paysan meurt d'épuisement et d'émotion en vue de son village. Le sixième finit par se rendre à la gestapo. Un seul parvient à passer en Hollande, grâce à l’organisation rudimentaire de la résistance et à la solidarité ouvrière mondiale. La septième croix qui l'attend au camp reste inemployée. C'est une brèche dérisoire dans la formidable forteresse nazie. Et c'est pourtant un espoir.
Dans ce roman de l’Allemagne nazie écrit pendant son exil en France, Anna Seghers dresse une fresque polyphonique et dépeint une société dans laquelle le national-socialisme révèle en chacun les aspects profonds de son être : héroïsme insoupçonné d’un tel, lâcheté de tel autre, ou simple peur existentielle et fragilité face à un système conçu pour broyer toute résistance visant non seulement l’individu mais sa famille, ses proches. Solidarité, inconscience, constance ou reniement de l’idéal, toute une palette des comportements humains est présente.
Ce qui frappe à la lecture de cet ouvrage, c’est tout d’abord l’écriture remarquable de l’auteure qui nous dépeint parfaitement l’atmosphère qui régnait dans les années 30 en Allemagne avec la montée du totalitarisme. Sa narration, au travers des yeux d’un fugitif, révèle une connaissance quasi intime de la réalité de la vie sous Hitler.
Les éditions Métailié m’ont donc fait découvrir une auteure et un ouvrage que je ne connaissais pas. La septième croix est un très grand livre qui montre une fois de plus qu’un roman peut décrire un système et un contexte (le nazisme et les années 30) aussi bien qu’un ouvrage historique ou qu’un manuel d’histoire. |