20 ans après l'exposition pluridisciplinaire "Vienne. 1880 - 1938 : naissance d'un siècle" organisée au Centre Pompidou en 1986 réalisée par Jean Clair, qui aujourd'hui est également à l'affiche avec la superbe exposition "Mélancolie – Génie et folie en Occident", les Galeries du Grand Palais propose un large panorama des œuvres de 4 des peintres de la Sécession viennoise, le pendant de l'Art Nouveau en France.
Au début du 20ème siècle, à Vienne, capitale cosmopolite d'une débordante activité culturelle, Gustav Klimt, Egon Schiele, Koloman Moser et Oskar Kokoschka se retrouvent au sein de l'Union des Artistes Figuratifs pour réformer la vie artistique viennoise. Ce mouvement s'inscrit dans une tendance générale de l'époque de rejet du conservatisme et du conformisme en matière artistique et manifeste, notamment, une volonté de libérer l'art de l'emprise commerciale.
L'exposition réunit des peintures et dessins, pour la totalité moins une détenus à l'étranger, de ces quatre peintres de générations, de formation, de registre et de notoriété différents qu'elle met en perspective en privilégiant les critères purement picturaux.
Le commissaire de l'exposition, Serge Lemoine, et le muséographe
Jean-François Bodin, ont opté pour une présentation classique des peintures selon les trois genres traditionnels : Histoires, Paysages et Figures selon une scénographie épurée avec un tryptique de couleurs.
Emaillée de cartouches techniques expliquant sommairement les appariements de toiles, l'exposition se déroule sur deux niveaux avec un passage un peu labyrinthique entre les deux étages et regroupe les dessins dans une salle latérale qui sont présentés sans commentaire.
Il est donc recommandé au visiteur néophyte de se documenter au préalable et d'assister à la projection du documentaire ad hoc dans l'auditorium.
Histoires
Le symbolisme, à la charnière du 19ème et du 20ème siècle, avec ses thèmes de prédilection que sont l'allégorie et la représentation de la femme, n'est pas encore dépassé.
L'allégorie, qu'elle soit antique ("Pallas", "Danaé", "Nuda Veritas" de Klimt), religieuse ("Judith" de Moser, "Les ermites" de Schiele ou "Véronique et la Sainte face" de Kokoschka) ou profane ("Les 3 âges" de Klimt, "La femme en deuil" de Schiele) reste source d'inspiration.
Toutefois, elle est traitée de manière bien différente selon la sensibilité de chaque peintre.
Ainsi, en larges touches épaisses, Kokoschka peint des figures flottant dans un espace faits de plages de couleurs qui rendent leur aspect physique mais tendent aussi par le rythme impulsé à saisir leur portrait moral.
Les toiles de Moser sont empreintes d'un ésotérisme doucereux du fait des couleurs employées ("Jeune homme debout").
La "Pallas Athena", archétype de la femme fatale chère à Klimt et symbole ironique de la Sécession, ouvre l'exposition. Klimt recherche un réalisme quasi photographique du visage isolé du reste du tableau qui regorge d'ornements et de motifs en relation tant avec la situation artistique de l'époque que des propres aspirations de l'artiste, et ce jusqu'au cadre.
En face, "Nuda Veritas", version agrandie de la petite effigie représentée sur "Pallas Ath&ena" sous une citation de Schiller ("Si tu ne peux plaire à tous par tes actes et ton art, plais à peu. Plaire à beaucoup est mal."), tend au spectateur le miroir de la vérité et concrétise l'adhésion de Klimt à la Sécession.
Schiele privilégie la simplification voire la stylisation. Si le tracé à la craie noire ou un autre médium très présent sous l'huile, ce trait qui est si prégnant dans ses dessins, reste une constante, iIl abandonnera vite les courbes chaleureuses de la "Jeune femme nue allongée" pour le trait angulaire sans concession, le tracé à la craie noire ou un autre médium très présent sous l'huile, ce trait qui est si prégnant dans ses dessins. et les physionomies émaciées et torturées ("Visionnaire II" Un homme et la mort).
Paysages
Moser garde sa palette "chamallow" pour un minimalisme coloré pour "Sommets", "Sommets de montagne et nuages" et Schiele tend vers l'abstraction avec des arbres très dépouillés ("Petit arbre d'automne" et "Arbre d'automne dans le vent") et ses villages sans relief ("Stein sur le Danube") qui constituent autant de métaphores de la condition humaine.
En revanche, Klimt révèle une palette plus large : de l'impressionnisme ("Allée dans le parc du chateau", "Jardins et sommets de montagnes") au pointillisme ("Sur l'Attersee") en passant par le naturalisme apaisant ("Forêt de sapins").
Figures
Kokoschka est le maître incontesté du portrait expressionniste que le sujet soit personnel ("Double portrait" Kokoschka et Alma Mahler) ou de commande ("Madame Lotte Franzos"). Touches épaisses, violentes, couleurs nauséeuses, pour exprimer la tension du sujet.
Pour Klimt, on retrouve les mêmes caractéristiques : iconification ("Portrait d'Adèle Bloch Bauer"), impressionnisme ("Portrait de Maria Henneberg"), utilisation des arts décoratifs ("Portrait de Josef Pembauer"), théâtralisation ("Portrait d'Hermine Gallia").
De mêm epour Moser qui conserve sa palette un peu mièvre notamment dans son "Autoportrait" mystique avec une expression hallucinée. Quant à Schiele, il peut peindre à la Klimt ("Portrait de Hans Massmann"), dans la continuité de ses autoportraits ("Portrait d'Arthur Roessler") ou de manière plus apaisée ("Portrait d'Edith Schiele").
Dessins
Il est intéressant de voir comment la représentation du corps et son érotisation peuvent être ambivalente.
Contrairement à ses peintures, les dessins de Klimt, qui n'étaient pas destinés à être "montrés" et s'avèrent être davantage des croquis, sont exempts de couleur et d'ornement. Libéré de toute convention, le trait léger dessine les contours des modèles pour restituer le choc émotionnel et créatif à la vue joyeuse des corps dénudés et exhibés sans retenue.
A l'opposé, les dessins de Schiele sont autant d'interrogations obsessionnelles sur la représentation du corps et la préfiguration de la mort. Leur érotisme cru et terriblement expressif privilégie Thanatos.
Une chose est certaine : cette exposition donne incontestablement envie d'en savoir plus sur ce quatuor de peintres. Ce qui n'est pas rien.
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