Spectacle conçu, réalisé et mis en scène par Stefan Kaegi sur un texte de Stefan Kaegi et Thomas Melle.

Stefan Kaegi, membre du Collectif suisse Rimini Protokoll dédié au théâtre néo-documentaire et aux sujets explorant les frontières entre réel, réalité, fiction et illusion à la lumière des nouvelles technologies, propose avec "Uncanny Valley" une expérience réflexive davantage qu'un spectacle stricto sensu, à partir d'un théâtre sans comédiens et dépourvu d'êtres vivants.

Mais non pas une scène vide d'obédience théâtre d'avant-garde des seventies ni un spectacle d'objets ou marionnettique. Car le spectacle est dispensé par un officiant qui n'est pas une créature vivante de chair et d'os mais la copie animatronique, soit plus simplement sa réplique robotique qui constitue la version technologique de l'automate mécanique du 18ème siècle, d'une personne réelle.

Le tite "Uncanney Valley", traduction anglaise du "das unheimliche" développé par Sigmund Freud, "l'inquiétante étrangeté" en français, correspond au nom donné par le roboticien japonais Mori Masahiro à sa théorie, déjà ancienne, sur la perception et l'acceptation de l'Autre avec l'empathie anthropomorphique pour la machine aux traits humanoïdes mais qui ne prête pas à confusion à la méfiance provoquée par la dissonance cognitive face à un robot humain.

Avec la collaboration du dramaturge Martin Valdés-Stauber, Stefan Kaegi a développé cette thématique sur un texte co-écrit avec le romancier allemand Thomas Melle qui a accepté l'aventure d'être sujet et objet de la robotification de soi.

Et ce dernier invite le public, par l'intermédiaire de son "double", élaboré par la société Chris Creatures Filmeffects spécialisée dans les effets spéciaux de tous genres doté d'un visage en silicone au stupéfiant réalisme réalisée par Tommy Opatz, et de sa voix enregistrée, à une conférence sur deux personnalités "psychologiquement abîmées", en l'occurrence bipolaires, telles lui-même et Alan Turing, le génie mathématique précurseur de l’informatique.

Outre l'analyse par Thomas Melle des subjectives conséquences positives de l"externalisation de son corps", l'argument théâtral se déploie en une passionnante dialectique. Et ce inscrit dans une problématique dystopique déjà balisée quant, et entre autres, à la déshumanisation, la conscience de soi, la récognition de l'autre impactée par le conformisme normatif, les limites de l'intelligence artificielle au delà de la simple mémorisation, sans omettre la réflexion sur le sens et la vertu du théâtre spectacle vivant face à un théâtre interprété par des robots.

Un spectacle intelligent, stimulant... et vivifiant.