Orchestre National du Capitole de Toulouse & Tugan Sokhiev
Shostakovich : Symphony No. 8
(Warner) mars 2020
C’est un euphémisme que de dire que nous applaudissons des deux mains cette nouvelle collaboration entre Warner Classics et l’Orchestre National du Capitole de Toulouse, sous la direction du chef ossète Tugan Sokhiev. L’orchestre mondialement reconnu pour son interprétation du répertoire Français a vu, depuis la nomination de Sokhiev, son spectre s’ouvrir encore, et se tourner avec pertinence vers la musique Russe.
Preuve en est avec cette très belle version de la Symphony no. 8 de Shostakovich.
Si cette symphonie est si violente, si puissante dramatiquement c’est en réaction au succès de la septième symphonie composée en 1941 et jouée en 1942, symbole de résistance face à l’invasion nazie et de l’engagement des artistes contre la guerre, et, de sa récupération par le gouvernent soviétique. Ironiquement cette symphonie est, implicitement, contre le totalitarisme, la guerre et Staline. "Je ne suis pas opposé à ce Leningrad. Mais il n’y est pas question du siège de Leningrad. Il y est question du Leningrad que Staline a détruit. Et Hitler n’a plus eu qu’à l’achever".
Crée en 1943, cette huitième symphonie décontenancera un monde musical qui attend une succession à la septième symphonie et le monde politique Russe pour qui le côté sombre de la symphonie n’est pas exactement en adéquation avec les victoires de l’armée rouge. Naturellement, la symphonie sous couvert d’évocation des souffrances liées à la guerre cache des attaques contre les purges staliniennes de la fin des années 1930. Shostakovich évoque : "le climat intérieur de l’être humain assourdi par le gigantesque marteau de la guerre". Plus le drame que la barbarie, la mort et les ruines que la pensée triomphante. Elle représente vraisemblablement l’œuvre la plus tragique du compositeur.
Le régime russe ne sera pas dupe et s’il n’inquiète pas le compositeur sur le coup, il interdira longuement l’œuvre.
La symphonie est en cinq mouvements ("Adagio - Allegro non troppo", "Allegretto", "Allegro non troppo", "Largo" et "Allegretto"). Le premier mouvement est une plongée dans les ténèbres où semblent tournoyer les âmes tourmentées. Le second et le troisième mouvements sont d’une ironie grinçante, comme si les soldats improvisaient une danse macabrement joyeuse. Le burlesque en enfer ? Le quatrième mouvement avec sa basse obstinée, réminiscences de Bach, est comme un moment en lévitation. Avec son travail sur le son, les timbres ce mouvement est également un superbe pied de nez aux doctrines à la gloire du Bolchevisme de Jdanov. La gravité encore avec le dernier mouvement où perce parfois une frêle lumière.
Tugan Sokhiev et l’Orchestre de Toulouse propulsent tout le drame et l'ambivalence émotionnelle de cette œuvre avec virtuosité, maîtrise musicale, un véritable souffle et une profondeur existentialiste.
Une version que l’on rangera près de celle d’Evgueni Mravinski ou Kirill Kondrachine. Rien de moins...