L’an dernier, exactement à la même époque, les éditions Delcourt avaient la judicieuse idée de nous proposer l’ouvrage d’un auteur qu’un magazine new-yorkais considérait comme "le géant oublié de la littérature américaine". Nous découvrions alors le formidable roman, Un autre tambour de William Melvin Kelley, un livre publié en 1962 qui nous parlait de racisme et de ségrégation dans l’Amérique des années 60.
Evidemment, ce génial auteur a écrit d’autres romans et les éditions Delcourt récidivent donc cette année en nous proposant une autre petite merveille de cet auteur, Jazz à l’âme, qui est de la même veine qu’Un autre tambour, à savoir un magnifique livre sur les ravages de la ségrégation. En effet, l’ouvrage nous raconte la vertigineuse ascension d'un génie du jazz, contraint d'improviser la vie dans l'Amérique ségrégationniste.
Ludlow Washington est né différent, aveugle. Abandonné à cinq ans aux mauvais traitements d'une institution, il endure les brimades jusqu'à ce que ses prodigieux talents de musicien lui offrent un ticket d'entrée dans le monde. Un monde auquel il n'est pas préparé, et où il doit apprendre la vie à tâtons. Il devient dès lors la propriété de Bud Rodney, le chef d'un orchestre qui se produit au Café Boone, à New Marsails, une petite ville du Sud. Il y rencontre une femme, la fille de sa logeuse, qu’il va épouser, avoir un enfant avec avant de l’abandonner pour partir à New-York.
Bientôt lassé par le répertoire limité et suranné de Rodney, Ludlow emboîte le pas aux pionniers du jazz et part à la conquête de la scène new-yorkaise, où il invente un nouveau son et devient vite une icône de l'avant-garde de Harlem. Mais la musique ne suffit plus à adoucir ses démons intimes. Le succès et la notoriété le place au sommet d’une pente qu’il va se retrouvait à dévaler, comme souvent pour ceux qui connaissent une réussite fulgurante. Désorienté par la mémoire de son enfance volée, meurtri par les trahisons amoureuses, Ludlow est hanté au point de vaciller.
L’histoire de ce Ludlow est particulièrement émouvante, portée par la superbe écriture de l’auteur qui n’hésite pas à dénoncer les humiliations qu’il connaît durant son enfance, les rapports de domination qu’il subit ensuite pendant une partie de sa vie, même dans le travail au début, ses rapports avec les blancs, particulièrement ceux avec les femmes, des prostituées aussi. L’ouvrage nous montre d’ailleurs très bien comment Ludlow découvre la sexualité auprès des femmes (des femmes qu’il découvre non pas avec les yeux mais grâce au toucher), lui l’aveugle qui a souvent était entouré de garçons.
Alors voilà, j’ai beaucoup aimé cet ouvrage de William Melvin Kelley autour de ce personnage de Ludlow, complexe et attachant, sans cesse renvoyé à sa condition de noir. Il se dégage de cet ouvrage une grande sincérité et beaucoup d’émotions, que l’on comprend encore mieux à la fin de l’ouvrage lorsque la femme de l’auteur nous dévoile la genèse de cet ouvrage et la place que prenait le jazz dans sa vie. |