Monologue dramatique de Adel Hakim interprété par Swann Arlaud accompagné par la musicienne Mahut dans une mise en scène de Tatiana Vialle.
Pour sa première pièce, en 1991, Adel Hakim, auteur italo-égypto-libanais, a frappé fort. Avant Swann Arlaud, qui reprend le rôle de ce monsieur-tout-le-monde devenu une machine à tuer dans une guerre sans pitié entre les Adamites et les Zélites, c'était Jean-Quentin Châtelain qui avait marqué ce monologue sans temps mort. Ceux qui l'ont vu disent avoir du mal à concevoir un autre acteur dans le rôle. C'est la même réflexion que devraient faire les spectateurs qui assisteront à la performance toute en nuances de Swann Arlaud, qui n'en est qu'à sa troisième expérience sur les planches dans une décennie où il a gagné une place de choix dans le cinéma français, avec notamment ce "Petit Paysan" (2017) d'Hubert Charuel qui lui a valu le César de la meilleure interprétation masculine. Depuis il enchaîne des rôles très différents, pouvant passer d'un rôle noir chez François 0zon à une composition lunaire dans "Perdrix" d'Erwann Le Duc. Avec ce qu'il propose dans "Exécuteur 14", c'est désormais du côté des Molière qu'il pourrait ramasser très vite de nouveaux lauriers. Convaincu sans jamais forcer, on a l'impression qu'il est constamment au repos, qu'il dit les choses, des choses graves, sans aucun pathos dans la voix et sans passer par une gestuelle quelconque. Il permet au texte d'Adel Hakim de gagner en universalité car son personnage n'est pas prédestiné à ce qu'il va devenir. Il n'a pas besoin d'un physique particulier, d'un phrasé particulier. Swann Arlaud et Tatiana Vialle qui le met en scène font croire justement qu'il suffit de se poser sur un coin du plateau, de raconter son histoire pour qu'elle prenne tout son sens et toute sa force. En oubliant qu'il y a un acteur exceptionnel devant lui, le spectateur, n importe quel spectateur, peut vraiment s'identifier à ce jeune homme bâti peu à peu pour le pire. Khmer rouge ou enfant-soldat, garde-chiourme de l'horreur ou fonctionnaire de la mort, il est, même si on aimerait penser le contraire, un homme semblable aux autres. La qualité du texte d'Adel Hakim oblige à s'interroger sur ce que la guerre veut dire, sans tomber dans la naïveté de tout excuser ou de tout condamner. La force de ce monologue est de donner le temps à un homme sans qualité, un homme jeté dans la confusion de l'irrémédiable, sinon de se justifier au moins de dire ce qu'il peut encore formuler pour rester parmi les humains.
Aidé par les sons discrets mais parfaitement distillés de Mahut, le vieux complice d'auteurs-interprètes comme Jacques Higelin et Bernard Lavilliers, qui auraient pu eux-aussi jouer cet "Executeur 14", Swann Arlaud a l'évidence modeste des grands artistes. Et pourtant, les applaudissements très nourris qui surgissent sont d'abord pour sa très belle prestation. |