Monologues dramatiques de Jean- Luc Lagarce interprétés par Vincent Dissez dans une mise en scène de Sylvain Maurice.
En écoutant les premiers mots prononcés par Vincent Dissez, on est tout de suite saisi par une incontestable vérité : 25 ans après sa disparition, Jean-Luc Lagarce n'a pas cessé d'appartenir à la modernité tout en commençant peu à peu, mot à mot, à devenir un auteur classique.
C'est le visage et le buste torse nu seulement éclairés par la lumière experte de Rodolphe Martin que Vincent Dissez va raconter Lagarce en deux textes, "L'Apprentissage" et "Le Voyage à La Haye" présenté sous le titre "Un jour, je reviendrai". Le premier, "L'apprentissage", est ambigu : on ne sait pas si le personnage qui va à l'hôpital est l'auteur lui-même ou un autre, s'il conte les épreuves de la maladie qui finira par l'emporter ou si ce séjour n'a rien d'autobiographique. En tout cas, il décrit avec une précision extraordinaire les tourments ordinaires subis par quelqu'un d'ordinaire. Vincent Dissez n'nterprète pas un texte, il le dit, il le vit. Sans effets, sans emphase, alors que tout pourrait le pousser vers l'excès tant ce qu'il raconte est aussi dur à vivre qu'à entendre. Sylvain Maurice et Vincent Dissez ont eu raison de croire dans les mots de Lagarce, dans la manière bien à lui (reflétant ses origines populaires) de s'emparer du discours, de le construire et de l'abandonner.
Le second, "Le voyage à La Haye", est constitué par des extraits du "Journal" de Lagarce. Ici, on est sans conteste dans l'autobiographie, dans l'irrémédiable quotidien autobiographique. Lagarce est devenu un homme de théâtre et décrit les petits tourments d'une tournée dans laquelle tout n'est pas au beau fixe entre les protagonistes qui se connaissent trop bien et qui se reprochent des choses, peut-être toujours les mêmes choses. Et puis, il y a, contrairement au premier texte, des éclats de voix, des changements de ton et le sentiment que la maladie, dans cette configuration, n'est pas guérissable, qu'elle va triompher de ce fameux quotidien qui, avant elle, paraissait pouvoir se reproduire ad libitum. Désormais, la scène ne se limite pas au corps de Dissez, gagne en espace et devient le plateau en entier. Elle s'ouvre avant la grande fermeture et l'acteur fait presque semblant d'interpréter les broutilles qui font sens dans une vie normale, celle qui est en train de quitter. Vincent Dissez est parfait de bout en bout. On le suit sans jamais le perdre d'un mot. Il trace la route d'un homme mort trop tôt, tête de liste d'une époque morbide et déjà révolue.
En choisissant précisément ces deux textes parmi les centaines qui forment l'oeuvre de Jean-Luc Lagarce, Sylvain Maurice a rendu hommage d'abord à l'immense homme de théâtre et à son alter ego tombé injustement du monde des vivants.
Un requiem sans tristesse pour quelqu'un de bien. |