Comédie dramatique de Natacha Appanah, adapation et mise en scène de Alexandre Zeff, avec Mia Delmaë, Thomas Durand, Mexianu, Medenou, Alexis Tieno, Assane Timbo et la musicienne Yuko Oshima.
Avec "Tropique de la violence", l'écrivaine mauricienne Natacha Appanah a décrit sans complaisance le "plus grand bidonville de France", Kaweni, surnommé Gaza, qui ne se trouve ni en métropole ni en Palestine, mais à Mayotte, dans l'océan indien. Son grand succès lui a valu d'être adaptée en bande dessinée, puis en film par Manuel Schapira en 2020. C'est donc fort logiquement qu'Alexandre Zeff a eu aussi envie d'en donner une version scénique. Tout ici est noir, commence dans le noir et se prolonge dans la pénombre, une pénombre pervertie par des flashs de lumière aux endroits les plus inattendus de la scène ou de la salle où apparaissent les protagonistes généralement pour de longs monologues. "Tropique de la violence", c'est une plongée dans un résidu colonial français oublié. Alors que la France donnait l'indépendance aux Comores, une des îles de l'archipel, Mayotte aspira à rester dans le giron de la République. Contre la doctrine de l'Onu, qui n'accepte pas la décolonisation par parties, la France fit de Mayotte, un département français. Et ce qui arriva est fort logique : les autres Comoriens, forcément plus pauvres, ont été attirés par Mayotte. Devenus des migrants, ils sont venus dans l'île s'entasser dans le bidonville de Gaza.
C'est l'histoire de Moise (Alexis Tieno), arrivé clandestinement bébé et confié par sa mère biologique à Marie (Mia Delmaë), une infirmière blanche sans enfant. Quand celle-ci meure, Moise a quinze ans et décide de partir pour Gaza. Pur produit de la société coloniale blanche, Moïse va y découvrir ses racines et surtout faire face à la violence incarnée par Bruce (Mexianu Medenou), l'homme fort du bidonville qui revendique sa peau noire et son statut d'immigré. Outre Marie, deux autres témoins, Stéphane (Thomas Durand), un éducateur, et Olivier (Assane Timbo), un policier, raconteront le destin hors du commun de Moïse pénétrant le cœur obscur de Mayotte, soumis à l'horreur et à la mort. Soumis d'abord à une violence partout présente. Une violence que l'on retrouve dans le discours véhément de Bruce, dans la musique métallique des percussions que fait entendre la musicienne (Yuko Oshima), sur les écrans vidéo utilisés pour faire surgir de menaçants éclats de lumière ou pour montrer des images réelles de Gaza-Kaweni, sur la scène où les acteurs sont condamnés à patauger constamment dans une eau stagnante. Alexandre Zeff déploie un dispositif polyphonique. On crie, on chante, on danse, on hurle, on se bat. Le chaos n'est pas loin et l'affrontement entre Bruce et Moïse n'est qu'un acte de plus qui annonce pour le futur une inexorable éruption de ce volcan presque réveillé...
"Tropique de la violence" est un constat transcendé par l'écriture de Natacha Appanah et relayé ici par la vision très sombre d'Alexandre Zeff. Certains refuseront son manichéisme, d'autres, au contraire, y verront la fidèle retranscription d'un univers impitoyable, d'un monde où la colère annonce le pire. On ne tranchera pas. |