Écouter, et non pas entendre, ce disque c’est comme gravir un haut sommet : cela demande une préparation, une certaine énergie, une force d’attention. Cela épuise, décourage parfois, difficile d’être attentif totalement tout le long. Mais cela enthousiasme très souvent. C’est assez libératoire, et puis à la fin, c’est juste fabuleux.
Après un premier album, Schlagenheim (titre qui m’a toujours fait penser à l’expression : un coup de schlague) sorti en 2019, à la force et à l’immédiateté évidente, Black Midi revient avec un Cavalcade qui porte bien son nom.
Attention Black Midi n’est plus tout à fait le même Black Midi, et ceux qui ont adoré ce premier album pourraient être surpris. Début 2020, le guitariste Matt Krasniewski-Kelvin quitte le groupe pour des raisons de santé (mentale). Une perte importante mais trois ajouts vont l’être encore plus : Kaidi Akinnibi au saxophone, Jerskin Fendrix au violon et Seth Evans aux claviers. Ce changement a eu un effet notable sur le groupe, sur sa façon d’envisager la musique, sur le son, sur les arrangements. Moins rugissant et pointu plus anguleux, plus surprenant, plus réfléchi, savant (les enchainements harmoniques, les cadences) et intellectuel. Pour autant cela reste, à la réécoute de Schlagenheim, plus une évolution qu’une réelle révolution.
Et cette évolution va clairement vers une instrumentation nettement plus complexe, forcément. Certains parleront de jazz-rock. Si c’est faire une musique rythmiquement, harmoniquement, mélodiquement intéressante, si c’est faire une musique qui façonne les timbres, les couleurs, les ambiances, qui joue, alterne les dynamiques, les nuances, alors oui ce disque est jazz-rock. Ou post-punk, math-rock, noise ou progressif : n’y entendons-nous pas des réminiscences de King Crimson ? Et tant que nous y sommes nous pourrions également penser à Captain Beefheart, Prince, Death Grips, Talking Heads, Zappa... Cela tombe bien, le groupe a sorti des disques vinyles avec des reprises de quelques-uns de ces groupes.
Plus une évolution qu’une révolution donc : il y a toujours cette voix qui flirte avec la grandiloquence, cette puissance, ce tourbillon qui pourrait tourner un peu vide ou être vain alors qu’il se révèle toujours aussi pertinent, intéressant (cette façon de tourner autour de la rythmique, de façonner justement les phrases rythmiques), captivant : rien ne coule de source dans cette musique sans jamais oublier de rester accrocheuse mélodiquement.
Si pour le moment le rock, dans son acceptation la plus large, semble incapable de s’inventer une nouvelle (re)naissance, c’est dans cette façon qu’il a de se réinventer qu’il est le plus excitant. Et ce disque, absolument convainquant en est la preuve la plus flagrante.
# 14 avril 2024 : En avril, de la culture tu suivras le fil
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