Comédie dramatique de Pierre-Olivier Scotto, mise en scène de Xavier Lemaire, avec Isabelle Andréani, Hugo Lebreton, Kamel Isker, Noémie Bianco, Maud Forget, Chadia Amajod, Teddy Melis, Franck Jouglas, Patrick Chayriguès, Julien Urrutia, Laurent Letellier et Xavier Kutalian.
Dans cette grande saga familiale sur fond des tragiques évènements de la Guerre d’Algérie, Pierre-Olivier Scotto aborde enfin un sujet qui lui tenait particulièrement à cœur, lui le pieds noir né et élevé "Là-bas, de l’autre côté de l’eau".
Pour raconter l’Algérie de son enfance et la tragique escalade qui a amené des familles entières qui se sont côtoyées et pour certaines aimées, à se détester et même parfois s’entretuer, il a créé un véritable feuilleton théâtral de plus de 2h30 qui balaie la période allant de 1954 à 1962.
Le rideau s’ouvre sur les hauteurs d’Alger dans l’huilerie des Surgenti, dirigée d’une main de fer par Marthe Surgenti, pied noir pleine de bagou mais aussi de rancœur envers "ces arabes" qu’elle traite comme ses enfants mais accuse d’avoir tué son cher mari dans un attentat sanglant dont elle a du mal à se remettre. Sa fille aînée, France, a 18 ans et rêve de Paris où elle voudrait rencontrer Françoise Sagan et danser avec les yéyés dans les caves Saint-Germain des Pré. Fougueuse et passionnée, elle se sent à l’étroit dans son pays natal et est éprise de Moktar, l’ouvrier de sa mère avec qui elle a grandie, déchiré quant à lui entre son amour pour la jeune fille et ses aspirations à une Algérie libérée du joug français. Pendant ce temps en métropole, Jean-Paul, jeune banlieusard fan d’Eddie Mitchell, se prépare à partir, sa guitare en bandoulière, en tant qu’"appelé", sans anticiper la dureté d’un conflit que, dans les ministères, on tend encore à minimiser. Amours contrariés, aspirations contradictoires et déchues et grands moments historiques rythmeront bientôt la vie de nos 3 protagonistes emportés dans les affres d’un conflit qui les dépasse. Sur scène ils ne sont pas moins de douze comédiens pour incarner les nombreux personnages qui peuplent cette fresque épique. Pierre-Olivier Scotto a fait le choix de laisser la parole à l’ensemble des belligérants : pieds-noirs, arabes pacifistes, militants du FLN, militaires français, ou membres du ministère seront ainsi appelés tour à tour sur les devants de la scène pour livrer leurs sentiments et version d’une histoire dont seront exposés les grands moments. Photos de famille couleur sépia et extraits vidéos tirés des archives nationales sont d’ailleurs projetés tout au long du spectacle pour donner du contexte. Pour donner vie à son texte fleuve, Pierre-Olivier Scotto s’est entouré d’excellents professionnels. La mise en scène de Xavier Lemaire est classique mais d’une grande efficacité : direction d’acteur au cordeau, costumes de très bonne facture (réalisé par Virginie H), lumières très propres (de Didier Brun) scénographie basée sur de nombreux et rapides changements de décors (pensés par Caroline Mexme), évoquant tour à tour l’huilerie des Surgenti, une cave de la casbah, les arrières salle des ministères ou la campagne algérienne. Des éléments mobiles permettent d’occuper habilement la scène dans toute sa hauteur et sa profondeur et servent fréquemment d’écran de projection. Du côté de la distribution, Isabelle Andréani incarne une Marthe Surgenti pleine de gouaille.
Hugo Lebreton est un Jean-Paul touchant de naïveté tandis que Maud Forget donne vie à de nombreux rôles secondaires (dont la sœur de France, une combattante du FLN et l’amoureuse française de Jean-Paul) avec beaucoup de présence. Quant à Kamel Isker il est formidable dans son rôle de Moktar qu’il interprète, malgré le caractère entier du personnage, avec beaucoup de nuance. Avec "Là-bas, de l’autre côté de l’eau", et nonobstant quelques longueurs et emphases parfois réductrices, Pierre-Olivier Scotto signe donc un drame historique au dénouement poignant servi par une réalisation de grande qualité et une interprétation émérite. |