Il y a maintenant quatre ans, le monde perdait l’un de ses plus grands écrivains, un certain Aharon Appelfeld, auteur de plus de quarante-cinq livres que les éditions de l’Olivier ont entrepris de traduire depuis 2004 par la voix de l’excellente Valérie Zenatti. L’ouvrage qui vient d’être publié est la dernière œuvre d’Aharon Appelfeld publiée de son vivant. Cet ouvrage, La stupeur, est un roman puissant, d’une incroyable modernité, qui met en scène le face à face entre la cruauté du monde et la détermination d’une femme qui ne songe qu’à le réparer.
L’histoire se déroule en 1941, à la veille de l’invasion de l’Ukraine par les troupes allemandes. Un gendarme pointe son arme sur une famille juive, obligeant le père, la mère et leurs deux filles à rester à genoux devant leur magasin. C’est Iréna, une paysanne qui, de sa fenêtre, découvre la scène d’humiliation et de torture. Et qui ne pourra rien pour empêcher le massacre de ses voisins.
Cet évènement agit sur elle comme un électrochoc. Folle de douleur, Iréna fuit les lieux du crime. Mais elle fuit aussi son mari brutal qui a transformé leur vie conjugale en viol permanent. Au cours de son périple, elle prend conscience de la situation : les atrocités antisémites et le typhus dévastent la région, la font basculer dans l’horreur.
Décidément, on ne sort jamais indemne de la lecture d’un ouvrage d’Aharon Appelfeld et ce n’est pas celui-ci qui va rompre avec cette habitude. L’errance d’Iréna dans les campagnes ukrainiennes est bouleversante, elle résonne encore plus du fait de la situation actuelle des populations ukrainiennes qui connaissent de nouveau les horreurs de la guerre.
L’ouvrage est construit en deux temps. D’abord autour de la vie d’Iréna qui subit la violence de son mari et assiste à l’exécution de ses voisins, cet acte renvoyant à la sauvagerie qu’elle a connue avant. Dans un second temps, l’ouvrage nous narre son errance après son départ de chez elle, ses divagations, sa volonté de porter le message que Jésus était juif. Elle devient prophète avec les nombreuses difficultés qu’il existe pour faire passer ses messages, dans un pays où les Juifs sont massacrés.
Alors évidemment, l’antisémitisme est encore très présent dans cet ouvrage mais il n’est pas le thème unique. C’est aussi un ouvrage sur les violences faites aux femmes, sur toutes les formes d’oppression qui existent. Des femmes ukrainiennes qui peu à peu, en rencontrant Iréna, vont chercher à trouver une nouvelle vie, loin de la brutalité masculine qui les entoure. Iréna symbolise alors la prise de conscience, pour elle comme pour les autres, née de la stupeur (d’où le titre de l’ouvrage) d’avoir vu cet odieux assassinat. Tout au long de l’ouvrage, elle sera hantée par les fantômes de ses voisins juifs assassinés.
Autour de la publication de ce roman, les éditions de l’Olivier publient en poche avec une postface inédite une réédition de L’Héritage nu. Traduit et publié une première fois en 2006, L’héritage nu reparaît donc dans une traduction plus conforme à l’original, dont le manuscrit a été en partie retrouvé. Ce texte regroupe trois conférences prononcées à l’université de Columbia par l’auteur. |