Spectacle conçu par texte et mise en scène Jean Lambert-wild, Lorenzo Malaguerra et Marc Goldberg, avec avec Jean Lambert-wild, Aimée Lambert-wild et Vincent Deprez. Jadis, les petits enfants de France, en franchissant le seuil du collège, se trouvaient confrontés à la "Légende de Roland", la triste histoire du neveu du roi Charles, pas encore devenu empereur. Les aventures de Roland, mort en 878 dans le col de Ronceveaux victime des Basques, qu'on s'évertuait alors à vouloir sarrasins, n'avait pas de secret pour eux. Mille cent ans après la tragédie, Frank Cassenti tournait "La Chanson de Roland" avec une distribution éblouissante (Klaus Kinski, Pierre Clémenti, Dominique Sanda, Alain Cuny) et un budget faramineux. Son échec retentissant, l'un des plus grands jamais connus par le cinéma français, s'expliquait sans doute par la disparition progressive des aventures de Roland des manuels de littérature française. Endormi depuis presque cinquante ans, victime d'un septième art se voulant mécaniquement brechtien, "La Chanson de Roland" se réveille aujourd'hui au théâtre. Et aux millions dépensées par les producteurs de Cassenti s'opposent la modestie joyeuse de l'entreprise de Jean Lambert-wild et de ses compagnons. En une heure, à l'aide de son clown fétiche, Gramblanc, de la dénommée Chipie, une ânesse malicieuse et bien dressée à l'insoumission par Aimée Lambert-wild, de deux poules pas élevées en batterie par Vincent Desprez mais avec la reconnaissance de la patrie (Suzon et Paulette), il relève le défi de réveiller d'entre les pages mortes un texte héroïque. Avec Marc Goldberg et Catherine Lefeuvre, Jean Lambert-wild s'est mis tout seul, sans que l'éducation nationale et le ministère de la culture ne lui en fassent la commande, au défi de redonner vie à ces décasyllabes en "vieux françois". On en entendra dix pour cent, en guise d'apéritif. Mais le clown utopiste, et prêt à se remettre à l'ouvrage avec opiniâtreté, prévoit un jour prochain d'en proposer la totalité pour un spectacle dix fois plus long... donc d'au moins une dizaine d'heures. Gageure sur le papier mais pas irréalisable quand on voit l'intérêt du public, jeune et moins jeune, pour ce qui est déjà retraduit et qui cueille à froid tous les amateurs et tous les détracteurs de "Game of Thrones", saisis par cette émotion que seul le spectacle vivant peut procurer. Devant cette épopée populaire, cette somme de talents mis en scène par Jean Lambert-wild et Lorenzo Malaguerra, on est tout bêtement épatés. Sans exagérer, depuis la fin des confinements, des masques et des passes interdisant de théâtres les uns et les autres, c'est le premier spectacle qui dit clairement qu'il y a un après, qu'il y a un bout du tunnel. Et paradoxalement, ce constat, on le doit à un artiste que les péripéties de la vie de bohème ont conduit à reprendre sa roulotte de saltimbanque. On le félicite et on le remercie d'ouvrir avec entrain une route semée d'autant d'embûches que le col de Roncevaux. Et l'on n'oubliera pas avant longtemps, cette ânesse aux ailes rouges et prête à enchanter petits et grands, dès lors que sa maîtresse lui distribue ses friandises préférées ! |