Seul en scène écrit, mis en scène et interprété par par Dea Liane accompagnée par le musicien Simon Sieger.
Avant de voir "Le Cœur au bord des lèvres - Asmahan/variation", spectacle écrit, mis en scène et interprétée par Dea Liane, le nom d'Asmahan n'était pour beaucoup qu'une note en bas de page, lue à l'occasion d'un article consacré à Farid al-Atrache, la star du cinéma égyptien des années d'avant l'indépendance du pays.
On y disait à chaque fois qu'il avait une sœur, elle-même chanteuse, disparue tragiquement à l'aube d'une carrière prometteuse. On pouvait aussi y préciser que cette disparition s'avérait mystérieuse puisqu'elle avait été retrouvée morte noyée dans une voiture dont le chauffeur s'était extrait avant qu'elle bascule dans le Nil. Cela se passait le 14 juillet 1944 et cette jeune rivale d'Oum Kalsoum, à l'âge incertain de 27 ou 31 ans, avait peut-être été une espionne victime des jeux compliqués entre Anglais, Nazis et indépendantistes.
De tout cela, et de beaucoup d'autres choses, Dea Liane va parler. Dans "Le cœur au bord des lèvres", elle va montrer la vie brève mais bien remplie de celle qui est devenue pour les Egyptiens un mythe, toujours nourrie par les chansons grésillantes et nostalgiques qui lui ont survécu, par les deux films qu'elle a tournés, notamment "Victoire de la jeunesse" (1941) d'Ahmed Badrakhan qui fut son époux.
Sur l'écran vidéo au centre du plateau, on pourra voir un extrait du film et vérifier qu'Asmahan, de son vrai nom Amal al-Atrache, était d'une grande beauté. Elle aussi d'origine syrienne et libanaise, Dea Liane n'a guère de difficultés à s'emparer du personnage, à l'incarner par moments pour chanter quelques-unes de ses chansons accompagnée au piano par Simon Sieger, qui, par ailleurs, jouera aussi les journalistes pour interviewer la diva, micro ou caméra en main, donnant toute la mesure de son talent musical en troquant son piano pour un trombone ou un accordéon.
Dea Liane n'hésite pas à aligner les clichés attendus : star colérique et alcoolique, baignant dans tous les excès, notamment amoureux, elle reste aussi la petite fille druze, nostalgique de son enfance syrienne et fascinée à jamais par la beauté du Caire. La légende voulait qu'elle et ses frères soient de sang royal druze. Que Farid soit prince et Asmahan princesse implique un destin hors norme.
On baigne dans l'hagiographie, comme il sied aux personnages qui prennent corps comme "nouveaux" mythes. Il n'est pas impossible que le spectacle inaugural de Dea Liane, brillant et informé, ne soit que le premier qui ressuscite Asmahan. On pense au destin fictionné de Frida Kalho devenue en quelques années une icône mondiale alors qu'elle était quasiment inconnue de tous, hors Mexique, avant les années 1980.
Précédant Dea Liane, la première étape pour qu'Asmahan échappe à la sphère arabophone avait été un documentaire audio proposé par France Culture, en 2021, par Emile Chaudet et Yvon Croizier, "La face cachée d'Asmahan", qu'on peut d'ailleurs toujours écouter.
Quant à Dea Liane, qu'on a pu voir au cinéma dans le rôle principal de 'L'homme qui a vendu sa peau" (2020) de la réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania, dans des spectacles signés Stanislas Nordey ou Julien Gosselin, et qui, ici, bénéficie de la collaboration artistique de Célia Pauthe, on lui prédit un bel avenir.
Avec "Le Coeur au bord des lèvres", elle dresse un beau portrait de femme et se demande, avec une certaine tristesse, si cette étoile filante des années 1940 n'avait pas vécu un éphémère âge d'or, celui où une femme ayant son statut bénéficiait d'une grande liberté qui sera ensuite écornée par toutes les guerres, largement effacée par toutes les dictatures et enfin rayée de la carte par toutes les dérives islamistes. |