Texte et mise en scène d'Amos Gitaï, avec Bahira Ablassi, Dima Bawab, Benna Flinn, Irène Jacob, Alexey Kochetkov, Micha Lescot, Pini Mittelman, Kioomars Musayyebi, Menashe Noy, Laurence Pouderoux, Minas Qarawany, Atallah Tannouss et Richard Wilberforce.

Amos Gitaï est sans doute le plus grand cinéaste israélien. Il a derrière lui une œuvre considérable qui s'étale sur presque cinquante ans.

Cet architecte passé du côté du septième art s'est toujours intéressé aux vieilles pierres. Dans un pays à l'expansion architecturale anarchique, la transformation des maisons traditionnelles dans le vieux Jérusalem est un sujet qui dépasse la question architecturale pour devenir une question politique majeure car ces maisons appartenaient pour la plupart à des arabes chassés en 1948.

Dans plusieurs de ses films, Amos Gitaï s'était déjà emparé du sujet : "Une maison à Jérusalem" (1998), "News from House" (2005). Il y revient cette fois-ci sous forme d'un spectacle théâtral au décor monumental d'échafaudages.

Pendant plus de deux heures et vingt minutes, divers habitants d'une maison "abandonnée" en 1948 vont passer devant et parler à une hypothétique caméra.de leur parcours avant d'arriver là et ce qu'ils ressentent en y vivant. Au même moment, deux ouvriers arabes cassent des pierres ou montent un mur, ne perdant pas une miette de ces discours...

Avant toute chose, il faut savoir qu'une grande partie de ce qu'on entend sur scène reproduit des monologues ou des dialogues que l'on peut entendre dans certains des films déjà cités.

Certains vont trouver ce dispositif assez aride. Il n'y a pas de dramaturgie : les interviewés sortent du décor pour venir à l'avant-scène raconter à tour de rôle leur ressenti. Si l'on n'est pas intéressé par le contenu de leurs récits, ou que l'on trouve cette forme a-théâtrale, on risque de beaucoup s'ennuyer.

D'aucuns, s'ils ont vu le spectacle de Bernard Bloch, "La Situation - Jérusalem-Portraits sensibles", pourront aussi comparer la démarche presque similaire des deux metteurs en scène. Ils constateront une plus forte radicalité chez Bernard Bloch, qui réussit, lui, la synthèse du fond et de la forme.

Il faut dire qu'Amos Gitaï n'a pas assez actualisé les propos de ses films qui remontent à plus de quinze ans, et par conséquent n'a pas intégré la montée des intolérances religieuses. Ses personnages sont intellectuellement dans une autre dimension : du côté arabe, ils ne sentent pas tous que la partie est inéluctablement perdue et du côté juif, ils sont encore dans la défense des acquis menacés par les guerres successives depuis la création d'Israël.

Chez Bloch, dans "La Situation", la partie est pliée. Le pessimisme règne et l'enjeu est de savoir si Jérusalem ne va pas être annexée complètement par le gouvernement israélien et si ses habitants arabes, à terme, n'en seront pas fatalement marginalisés, voir condamnés à un nouveau départ.

Chez Gitaï, qui s'appuie sur une parole ancienne, on peut encore rêver d'une paix et d'une fraternité entre gens de bonne volonté. Mais sa description idyllique est contredite par des années de gouvernements israéliens influencés ou dirigés par l'extrême-droite.

Reste qu'au niveau spectaculaire, "House" se suit sans ennui. Le cinéaste utilise intelligemment la vidéo qui occupe tout l'arrière de la scène et commence d'ailleurs par un émouvant hommage à son amie Jeanne Moreau. Il fait interpréter les textes de ses documentaires par des acteurs impeccables provenant d'Israël, de Palestine et de France.

On y parle arabe, hébreu, anglais et français et chacun réussit à émouvoir en reprenant les récits des personnes qu'ils incarnent. Bien entendu Micha Lescot et Irène Jacob sont parfaits dans les différents rôles qui leur sont dévolus.

Il faut cependant ramener "House" à sa juste dimension, celle d'un excellent théâtre documentaire qui aurait pu supporter quelques coupures ou plutôt remplacer quelques paroles trop datées par quelques nouvelles paroles pour actualiser le propos d'Amos Gitaï et lui redonner plus de justesse dans le contexte actuel.