Tragédie de William Shakespeare, mise en scène Jean-François Sivadier, avec Cyril Bothorel, Nicolas Bouchaud, Stephen Butel, Adama Diop, Gulliver Hecq, Jisca Kalvanda et Emilie Lehuraux.
Avec "Hamlet" et "Macbeth", "Othello" est certainement la tragédie de William Shakespeare la plus connue.
Elle a fait l'objet de plusieurs adaptations cinématographiques et les versions d'Orson Welles, de Laurence Olivier et de Kenneth Branagh ont été vus par des millions de spectateurs. Réalisés à chaque fois par l'acteur qui jouait le Maure de Venise.
Cela contraint, paradoxalement, les metteurs en scène de théâtre de rester, comme les films, très fidèles au texte shakespearien... et l'on sait que Jean-François Sivadier est souvent coutumier d'adaptations assez radicales des classiques.
Pour une fois, un peu contraints et forcés, lui et son acteur fétiche, Nicolas Bouchaud en Iago, seront "sages". Evidemment, ils ne pourront pas s'empêcher de pousser la chansonnette, anglaise avec "Queen" et "Madness", franco-italienne avec "Paroles, Paroles". Autre gag récurrent : Roderigo (Gulliver Hecq), le factotum de Iago, sera ,de scène en scène, de plus en plus sanguinolents.
Il faudra également, pour titiller le politiquement correct, qu'Adama Diop, l'acteur qui joue le rôle-titre, se recouvre le visage de peinture blanche pour commettre son crime, sans doute que ce "white face" est un pied de nez à tous les acteurs blancs noircis au cirage pour jouer "Othello" au cours du siècle.
Et cerise ultime sur le gâteau, le dernier "plan" donnera un sens moderne à ce drame, en assimilant le traître vénitien au célèbre Joker habitué de Gotham City.
Pour le reste, au crédit de Sivadier - bien que la représentation dure 3 h 20 - un rythme qui ne faiblit jamais, notamment grâce à une scénographie qui reste toujours dans le même décor, peu surchargé, avec de grands bâches noires en fond de scène et de grands rectangles de bois qui s'élèvent et s'inclinent au gré de l'action.
Pareillement, les costumes de Virginie Gervaise, à l'exception des tenues féminines qui sont colorées, sont dans des gris pâles et des gris sable. On est loin de la splendeur vénitienne puisque théoriquement l'action se déroule à Chypre. Enfin, comme souvent dans les derniers Othello montés, la distribution est resserrée, Cyril Bothorel jouant ainsi Branbatio, Montano et Lodovico.
En privilégiant la description des stratagèmes de Iago, Jean-François Sivadier place au second plan la jalousie d'Othello et d'une façon plus générale, les relations d'Othello et de Desdémone (Emilie Lehuraux).
On a l'impression que le couple s'est déjà installé et que l'aiguillon venimeux de Iago n'est qu'une piqûre de rappel qui réveille l'un et l'autre. On ne peut pas non plus supputer une quelconque haine raciste chez Iago puisqu'ici Emilia (Jisca Kalvanda), sa femme est jouée par une actrice noire.
Si on veut aller plus loin, c'est plutôt Iago qui est le plus jaloux. Il ne se venge pas simplement d'Othello parce qu'il nomme Cassio (Stephen Butel) comme son second mais aussi parce qu'il se sent délaissé par le général.
On a cependant déjà vu des versions plus ouvertement homosexuelles. Il faut plutôt en conclure que Jean-François Sivadier ne voit pas derrière l'union Othello-Desdemone une histoire d'amour fondée sur la sensualité et sur la passion, mais sur des considérations plus politiques, voire sociologiques...
Se sachant, après la guerre qui s'achève, bientôt rappelé à Venise, Othello va cesser d'être l'homme fort de la Sérénissime. S'il se laisse embarquer dans les plans de Iago, c'est qu'il sent qu'il va redevenir le "Maure de Venise" et que son couple n'a plus lieu d'être.
En suivant docilement les mauvais conseils de son âme donnée, n'est-il pas simplement suicidaire ? |