Levitation, jour 2. Pizza ou burger ?
Et voici que pointe le soleil sur le deuxième jour du festival Levitation qui se tient à Angers tous les ans au Chabada et fête ses dix ans d’existence cette année. Né en 2013 à Austin, Texas, c’est parce que jumelé avec la capitale angevine que cet évènement se déroule désormais en double édition des deux côtés de l’Atlantique. Lors de cette deuxième et, malheureusement ultime journée toujours dominée par un ciel d’un bleu azur arrosé par un soleil déjà bien brulant en ce dernier week-end de mai, on attendait de revoir les légendaires Dandy Warhols, de découvrir L. A. Witch, Clamm ou encore Porridge Radio. D’un côté donc des vétérans de la scène psyché / folk / rock et de l’autre des valeurs montantes. On citera également Tramhaus ou Acid Dad, deux formations qui ont titillées nos oreilles.
Les deux soirs affichaient complet pour la première fois de l’histoire du festival. Mais néanmoins, au fur et à mesure que la soirée avançait, il m’a semblé que le public était encore plus nombreux ce dimanche soir... Toujours est-il que pour fêter comme il se doit la décennie d’existence, un documentaire sur Levitation devrait voir le jour prochainement.
Les portes ouvraient à 16h30 avec les locaux de Bermud qui pratiquent une pop teintée de shoegaze. Suivait Sylvie, groupe canadien folk. Le timing est scrupuleusement respecté et chaque artiste se conforme au format qui lui est proposé. Ce qui ne permet malheureusement pas de rappel... Sur la scène Réverbération, Triptides s’installait donc pour commencer leur set à 17h50 précises.
Nappes de Farfisa et voix claire aux accents folk, musique nonchalante et planante : ce sont des ambiances lascives et des images de plages de sable blanc devant le pacifique qui me viennent à l’esprit en cette fin d’après-midi estivale. Venu de l’Indiana, le groupe joue une musique aux sonorités très marquées seventies qui m’ont aussi parfois rappelé les Anglais d’Inspiral Carpet. Leur set, mené par le chanteur et leader Glenn Brigman, assez statique mise sur une maîtrise parfaite des compositions. Le résultat ? C’est comme un verre de Margarita dégusté dans un transat devant le soleil qui se coucherait doucement derrière un rideau de palmier. Parfait pour l’horaire.
C’est une toute autre musique qui attend le public sur Élévation. Les artistes doivent se passer le mot : pour tenir sur cette scène face au soleil de fin d’après-midi, le truc c’est de plonger dans la foule.
Venu du Nord de l’Europe, plus précisément des pays-bas, Tramhaus œuvre à construire un post-punk aux harmonies répétitives ponctuées de fulgurances parfois incongrues. Si leur musique peut paraître un peu froide sur album, elle prend une toute autre dimension sur scène.
Mené par un Lukas Janssen aux postures jaggeriennes, à la moustache mercurienne et au mulet digne d’un joueur du Bayern de Munich des années 80, le groupe dévoile une énergie beaucoup plus sensible que sur leurs enregistrements.
Sacrifiant donc au rituel de l’après-midi sur Élévation, Janssen se retrouve bientôt porté par le public tandis que Nadya van Osnabrugge (guitare, qui officie aussi comme batteuse dans Vulva, groupe doom), Julia Vroegh (basse), Jim Luijten (batterie) et Micha Zaat (guitare) assurent l’assise musicale sur la scène.
Janssen fait preuve d’un véritable charisme et emmène le show durant les 40 minutes d’un concert intense. Un set plus que convaincant pour un groupe qui fait plutôt l’unanimité parmi les critiques.
À l’écoute, Acid Dad m’avait séduit. Naviguant dans des eaux proches des Franckie And The Witch Fingers (ils sont tous deux sur Greenwayrecords, tout comme L. A. Witch), une musique entre garage et psyché, dansante et mélodique, aux guitares doucement saturées, à la réverb discrète qui vient à point nommé apporter un brin de fraîcheur dynamique après le cagnard qui a tapé durant le passage des Hollandais juste avant.
Sur scène, les trois musiciens, Vaughn Hunt (chant / guitare), Sean Fahey (guitare), et Trevor Mustoe (batterie), lunettes de soleil sur le nez, arborent une attitude nonchalante sur une musique à la fois planante et vitaminée qui emporte rapidement le public déjà bien chauffé par Tramhaus.
Après un passage au local baby foot et flipper rapide suivi d’une bière fraîche prise sur le pouce et d’une brève hésitation entre pizza véggie et burger végétarien (pizza), pendant qu’Acid Dad clot son set, je cours me réfugier dans le crash-pit dans l’attente de l’arrivée de Clamm, groupe venu tout droit d’Australie.
Si j’en crois ce que j’ai écouté, on peut s’attendre à un pur moment de rock and roll. D’emblée, en brandissant "Love U" collé au gaffer sur le dos de sa guitare, Jack Summers (chant / guitare) gagne le cœur du public.
Le punk rock du power trio, rugueux et violent mais joyeux, secoue bien les spectateurs qui se laissent séduire par la force de persuasion musicale du trio : une batterie qui martèle dure, une guitare surfuzzée jouée comme un forcené et une basse solide qui soutient le tout. En effet, du bon rock and roll !
Elles se réclament du GunClub et viennent de L. A., elles sont trois et arrivent toutes de noir vêtues, L. A. Witch investie ensuite les planches de Réverbération. Et oui, l’ombre de Jeffrey Lee Pierce plane bien au-dessus du Chabada pendant tout leur set. Si leur musique est plus "garage", avec des parties où la fuzz vient appuyer le chant quelque peu désincarné de Sade Sanchez, les riffs ont quelque chose de particulier qui n’est pas sans rappeler les mélodies concoctées par JLP et Brian "Kid Congo Powers" Tristan au meilleur du Gun Club ou encore Poison Ivy avec les Cramps. "Lascives" et "éthérées" sont les deux qualificatifs qui me viennent à l’esprit tant le trio semble détaché, comme un peu absent, au-dessus du moment.
Reste une musique qui envoûte, une séduction insidieuse que les trois musiciennes distillent tout au long du concert sans toutefois atteindre les sommets de transe que pouvaient générer les quasi cérémonies voodoo musicales du Gun Club (quand JLP était en forme...). Une petite apparition de Zia McCabe (Dandy Warhols) qui vient agrémenter un morceau de son tambourin et de sa silhouette toujours sexy.
La grosse surprise de la journée va venir d’un visage et d’une musique d’une sincérité lumineuse. Formé en 2015 par Dana Margolin afin de donner corps à ses compositions tout d’abord élaborées dans sa chambre, Porridge Radio vient de Brighton.
La musicienne s’entoure d’une claviériste, Georgie Stott, qui est sur scène son véritable alter ego, lui donnant la réplique et appuyant son chant tout en étant dans l’abnégation totale devant la présence scénique assez iconoclaste de la leader. On sent chez la chanteuse / guitariste un véritable plaisir à être là, son chant qui sait se faire caressant puis agressif séduit car il transmet toute la palette d’émotions que le texte cherche à faire passer.
Un jeu de guitare simple mais maîtrisé et efficace, des mimiques parfois mutines, parfois innocemment sensuelles, ou plus "rock and roll", Dana Margolin emmène le public avec elle dans son univers pop / rock avec des titres qui sont pour certains de véritables "ouragans émotionnels".
Ils étaient attendus, avec une durée d’existence de trente ans, des titres légendaires utilisés dans des publicités, des jeux vidéo, des films... un documentaire culte (Dig ! avec The brian Jonestown Massacre), Courtney Taylor-Taylor, Peter Holmström, Brent DeBoer et Zia McCabe investissent la grande (et haute !) scène de Révérbération, les Dandy Warhols n’ont aucun effort à faire pour conquérir le public, leur réputation suffit.
À gauche, collants résilles et ensemble cuir minimaliste, bouteille de vin à la main, chevelure au vent, juchée sur une estrade devant ses machines, Zia McCabe balance ses lignes de basse électronique efficaces et percutantes, plaque des nappes d’ambiance et se déhanche sauvagement en contre-jour dans un nuage de fumée.
De l’autre côté, fumée et contre-jour également au programme (merci les photos !), dans l’ombre mais ne passant pas inaperçu, Peter Holström, dégaine à la Keith Richard, fait sortir des sons psychédéliques de sa guitare ou envoie des rythmiques stoniennes, des solos bourrés de feedback. Brent DeBoer, batteur depuis vingt ans, trône sur une autre estrade aux côtés de la claviériste. Au centre, tel un shaman entouré de deux micros, artefacts magiques qui transmettent sa voix, Taylor-Taylor, arborant un chapeau large bord et des tresses à l’indienne, officie en maître de cérémonie, distribuant les rôles, laissant presque exclusivement Zia McCabe communiquer avec le public.
Les titres psyché, rock and roll, folk, qui frôlent parfois l’expérimentale, s’enchaînent, on reconnaîtra les classiques que sont "We Used To Be Friends", "Bohemian Like You" (évidemment), ou "Godless". Le set se clôturera comme il avait commencé, avec Zia McCabe seule sur scène triturant ses machines.
La qualité des compositions qui de temps en temps s’étirent en de longue plages très planantes, la présence magnétique des musiciens auront opéré une véritable fascination sur le public qui ressort un peu groggy du concert pour se tourner vers Mad Mad Mad, trio electro-dance-psyché-kraut ( ?) qui va devoir assurer le dernier concert de cette édition. Batterie acoustique, machines, guitare, basse, la musique est entraînante, fleurtant avec un électro funk qui réjouit les amateurs de George Clinton période Parlet ou solo, ou les nostalgiques du Herbie Hancock de Rock It. Ça groove, et ça fait bien danser. Parfait pour terminer ce week-end.
Et c’est déjà fini. Deux jours, c’est bien court, oui. Mais la programmation intense composée de valeurs sûres comme de découvertes surprenantes, d’artistes montants, permet d’apprécier tout un panel de talents pour tous les goûts. Le site, à taille humaine, évite une foule trop dense et favorise largement une ambiance familiale et bon enfant pour ceux que les immenses évènements comme le Hellfest pourraient effrayer ou repousser. On côtoie les musiciens qui viennent se mêler aux spectateurs une fois leur concert fini, et, si on peut parfois être amener à faire un peu la queue aux food trucks, on mange plutôt bien (et sain !) dans une atmosphère agréable. Que demander de plus ?