Un bel exemple d'évolution de la langue : "rock indépendant" ne prétend plus désigner une réalité économique et sociale (petits labels, refus d'une logique de vente au profit d'une logique d'intégrité, univers underground et quelque peu avant-gardiste) mais entend regrouper sous un même drapeau une certaine famille musicale.

Ce déplacement de sens a cependant tendance à me déranger, parce qu'il conduit à une confusion - que l'on songe seulement que les très grandes enseignes de la distribution de disque ont leur rayon "rock indépendant" ; voire même les grandes enseignes de la distribution tout court, puisque l'on peut maintenant acheter en hyper/supermarché son rock indé - quel gain de temps pour le rebelle père de famille ! L'underground enfin sorti de son trou ? Pas certain ; car évidement médiatisation et grande distribution impliquent un minimum de formatage. Baste de l'indépendance, en ce cas. Logique élémentaire.

De mon côté, je propose d'éviter la confusion en désignant cette famille musicale improbable par le terme de "rock indé FM", cette petite adjonction suffisant me semble-t-il, sans mépris aucun, à indiquer la fin de ces productions : la grande diffusion radiophonique du single sur les stations au positionnement adéquat, qui fera vendre l'album, si album il y a.

A ce jeu, les têtes d'affiches sont bien connues, et leur musique n'est pas dénuée de tout intérêt, d'ailleurs. Elle est souvent légère, accessible, explore les pistes déjà bien balisées des combos guitare(s)/basse/batterie/chant, exploite le filon du riff et du solo, alterne couplets et refrains sans complexes, rock et roll, évidement, avec un sens de l'efficacité souvent admirable, ajoutant un peu de danserie à nos petites rebellions musicales.

The Unisex viennent de Suède, et ce sera leur seule touche d'exotisme. Leur album White days constituerait presque un modèle du genre Rock indé FM. Cinq jeunes hommes, accoutrés de cuir & blazers & jean, c'est de bon ton, aujourd'hui. Non pas un, mais deux leaders charismatiques, en l'occurrence deux frères, et jumeaux, ce qui ne peut rien gâcher. Un single imparable, et en ouverture d'album, s'il vous plaît : "Pigs and their farms".

Le morceau se révèle d'ailleurs tout à fait excellent, avec une voix très travaillée, aux directions étonnantes, une orchestration archi-réglée, parfaitement efficace. Tellement parfait, en guise de single, qu'on nous en offre même un remix (parfaitement dispensable) en queue d'album (sur l'édition Shifty disco ; l'édition Universal proposant en lieu et place une version unplugged de "Take me higher").

Pour dire vrai, si tout White days avait été de ce niveau, aucun doute que les Unisex auraient pu rejoindre leurs altesses Franz Ferdinand, Muse & consorts au panthéon des meilleurs-groupes-de-rock-indé-FM-du-monde-tout-entier.

Malheureusement, si le reste de l'album se bat avec beaucoup de volonté, et même pas mal de talent, accumulant de bons passages, il se noie finalement dans une indistinction de références multiples et prestigieuses à la multiplicité desquelles l'identité du groupe ne résiste pas. On reconnaît tout au long de White days beaucoup trop d'influences, quelques passages semblant même "empruntés" à tel autre artiste, plus prestigieux et plus talentueux.

Trop appliqués, les cinq suédois auraient-ils oubliés de s'oublier un peu ? Trop lisse, leur album manque d'âme, de coffre, d'authenticité. Il verse dans ce défaut chronique du rock indé FM, auxquels ne savent échapper que les meilleurs représentants du genre : il est une forme vide, une façade, qui n'abrite pas grand-chose - voire rien. Un rock beau, un point c'est tout, en quelque sorte.

Que l'on me comprenne bien : l'album est plutôt franchement agréable à écouter, il est parfaitement exécuté, et c'est déjà bien assez pour justifier un achat et de nombreuses écoutes. Certains pourront même en faire leur disque fétiche, pour un temps.

Mais passé la fièvre du single, celle du second single et, avec un peu de chance, celle du troisième single, que restera-t-il de White Days ? Un nouvel album à venir, de nouveaux singles, des tournées mondiales, peut-être même. Et puis ? Un split médiatique, les deux jumeaux devenant mégalomanes et / ou dépressifs ? Un accident tragique, mettant une fin prématurée à une carrière prometteuse ? Un deuxième album moins peaufiné, laissant le groupe sombrer lentement dans l'oubli, et les mots croisés au club des anciens rockers neurasthéniques ?

Un scénario un peu trop convenu, dans tous les cas, pour un groupe de rock. Mais peut-être s'agit-il plutôt d'une simple fiction - radiophonique, of course.