Thérèse Roussel est actuellement à l'affiche du Théâtre Mouffetard avec "La femme coquelicot" un spectacle très émouvant, sensible et plein d'espoir, adapté du roman de Noëlle Châtelet par Yann le Gouic de Kervéno, qui raconte la révélation amoureuse d'une femme au soir de sa vie.

Cette comédienne qui ne cache pas son âge est d'une beauté et d'une vitalité rares. Elle nous raconte son parcours avec Marthe, l'héroïne qu'elle incarne depuis plusieurs années, avec volubilité, tendresse et une grande juvénilité.

Une rencontre toute en douceur qui agit comme un véritable bain de jouvence.


Thérèse Roussel : Que vous dire ? Que j'ai une grande joie à jouer ce spectacle, à jouer cette Marthe qui rêve à l’amour et qui va le rencontrer à 70 ans !

Comment avez-vous rencontré ce personnage ?

Thérèse Roussel : Il y a 15 ans j'avais joué "Sade 120", notamment au Cargo à Grenoble, dans lequel j’interprétais les 4 historiennes, donc presque tout le texte ce qui n'était pas facile car quand on en vient aux crimes sexuels on est un peu chamboulé. Dans ce spectacle, j'avais un partenaire extrêmement beau et élégant qui symbolisait l'archange du mal et qui n'avait qu'une phrase à dire. Nous avons sympathisé et nous échangions énormément sur le plan professionnel. Ce jeune homme c'était Yann le Gouic de Kervéno.

Dès lors, nous avions toujours eu envie de jouer à nouveau ensemble ou qu'il me mette en scène. Car moi je suis comédienne et je ne fais pas de mise en scène, j'aime être sur scène et jouer tous les êtres, les merveilleuses, les douces, les pulpeuses. Nous avons cherché ensemble un texte pour cela sans jamais y parvenir. Et puis un jour il est venu me voir avec un sourire d'ange en me disant qu'il avait trouvé un texte pour moi, fait pour moi et qu'il voulait le monter pour moi. II s’agissait du roman "La femme coquelicot" de Noëlle Châtelet. J'ai lu le roman qui m'a enthousiasmé. Restait à concrétiser ce projet et les hasards sont intervenus très joliment ; enfin, j'utilise terme de hasard mais je n'y crois pas. Yann le Gouic de Kervéno en a parlé à un ami qui était au collège avec le fils de Noëlle Châtelet.

C'est ainsi que les choses se sont naturellement agencées. Noëlle Châtelet a voulu voir une lecture du texte. Car je suis une personne plutôt en chair alors que son personnage est une femme un peu desséchée. Et quand elle est venue assister à cette lecture, elle a pensé en me voyant que je n'étais pas le personnage même si je lui étais néanmoins plutôt sympathique parce que je lui rappelais quelqu'un lui était cher. Et puis nous avons commencé la lecture et à un moment elle a ri. Je l'ai vue également me regarder avec émotion. Et au bout de 20 minutes elle nous a dit : "Vous avez mon accord." Et ce projet s'est monté ainsi tout en douceur comme par exemple pour les deux merveilleuses robes que je porte qui ont été créées par Sonia Rykiel que connaît Noëlle Châtelet.

Ce spectacle a été repris à plusieurs fois. Nous avons commencé au Théâtre Essaion et ce le 11 septembre 2001 ce qui n'était pas évident. Nous nous sommes interrogés pour savoir si nous devions jouer et nous avons conclu qu'il était préférable de jouer et envoyer de l'amour. Et le public était là. Nous avons joué jusqu'à fin octobre. Le spectacle a reçu un très bon accueil et de belles critiques.

Nous l'avons ensuite repris au Théâtre des Mathurins en 2003 après une pause. Nous avons fait quelques représentations ponctuelles en France et deux à Mexico. Puis il y eu de nouveau une pause. Enfin, Noëlle Châtelet a parlé de ce spectacle qu'elle aimait beaucoup à Pierre Santini qui est le directeur du Théâtre Mouffetard et ils ont décidé de le programmer à 19 h. Et voilà.

Donc Marthe est un personnage qui vous suit fidèlement depuis plusieurs années.

Thérèse Roussel : Oui, tout à fait. J'avais 68 ans quand j'ai rencontré Marthe et maintenant j'en ai 74. Et je vis cette aventure avec bonheur.

Quels aspects du personnage de Marthe vous ont séduit ?

Thérèse Roussel : Le thème, d'abord bien évidemment. Car je suis capable de tomber amoureuse comme elle du jour au lendemain. Je pense qu'il n'y a pas de fin pour une femme. Comme Marthe j'ai des petits enfants et je ne m'imagine pas ne vivant que pour leur faire des gâteaux. J'ai une petite fille de 15 ans avec laquelle nous nous racontons nos amours et je trouve cela beaucoup plus joli.

Marthe s'interroge en se demandant si elle a droit à sa liberté et à ses choix personnels car elle sent bien la réticence de ses enfants au début de sa rencontre avec Félix. Les femmes doivent évoluer et ne pas rester prisonnières de ce que leur ont inculqué leurs mères. Quel que soit l'âge, une femme, comme un homme, est une personne vivante. Elle peut aimer, faire l'amour, elle a un corps qui vit, qui est peut être moins joli bien sûr, mais un corps habité par l'amour est forcément beau.

Marthe est un personnage qui n'a pas vraiment connu les joies du corps et de l'amour au cours d'un mariage qui fut un mariage de raison. Et cet amour d'hiver est pour elle une révélation.

Thérèse Roussel : Oui, elle le dit d'ailleurs clairement quand elle parle d’Edmond l'incompétent. Et à 70 ans quelque chose en elle se réveille dans son corps endormi. Noëlle dit souvent qu'il s'agit d'une belle au bois dormant, c'est formidable ! Grâce à Félix, elle se retrouve ses 17 ans et toutes ces années ternes se trouvent mises entre parenthèses. Et c’est la raison pour laquelle j'ai envie de défendre et d'aimer encore davantage ce personnage. J'ai eu 2 maris, 3 enfants, des amants, j'en ai encore, et je n'ai donc pas eu sa vie mais j'aime défendre cette femme qui s'éveille à la vie et surtout à la vie sexuelle.

Quels sont les retours des spectateurs ? Et avez-vous constaté une évolution avec le temps ?

Thérèse Roussel : Le spectacle a toujours été bien reçu et notamment par les jeunes. Les réticences émanent plutôt des hommes qui à l'issue du spectacle se demandaient s'ils étaient un Edmond ou un Félix. Cela a dû amener des révélations. Je me souviens d'un reportage micro trottoir à la sortie du Théâtre Essaion dans lequel un homme assez jeune, la trentaine, répondait très honnêtement "Je crois que je suis plutôt un Edmond !".

Le spectacle a peut être une vertu thérapeutique.

Thérèse Roussel : Le spectacle est joué également avec succès à l'étranger en Angleterre et en Allemagne. Ce spectacle porte un beau regard sur la vieillesse, un regard d'espoir car souvent la vieillesse n'est vue que de manière un peu mortifère en ce qu'elle rapproche de la mort. Alors qu'ici la vieillesse fait partie de la vie et les personnes âges ont une vie.

Il est vrai que dans une société qui impose des diktats de jeunesse et de beauté, la vieillesse cantonne les personnes âgées dans des rôles bien définis. L'âge doit imposer des renoncements. Or dans le spectacle c’est l’inverse. Quand vous changez de robe, ce changement symbolique entre la robe noire et la robe coquelicot, vous montrez votre torse et votre poitrine nus.

Thérèse Roussel : Oui et c'est moi qui l'ai proposé. Yann me disait de manière un peu embarrassée qu'il faudrait qu'à un moment je me montre en combinaison, Noëlle également, bref je sentais bien qu'ils tournaient autour du pot. Et pour moi comme il s'agit d'une histoire de corps et pas simplement une histoire spirituelle et un amour platonique, il faut que l'on voit le corps. Et je leur ai donc proposé cette scène en montrant aussi une partie sexuée du corps.

Noëlle Châtelet est-elle intervenue concrètement dans ce spectacle ?

Thérèse Roussel : Non. L'adaptation a été faite par Yann le Gouic de Kervéno et elle n'est pas venue interférer dans la mise en scène. En revanche, elle assiste souvent aux représentations.

Quels sont vos projets après la programmation au Théâtre Mouffetard ?

Thérèse Roussel : J'espère qu'il y aura une tournée parce que j'ai encore envie de jouer ce rôle. J'ai également d'autres projets mais en province. Car l'avenir et la vie sont à moi !