Bénédicte Lesenne, comédienne et metteur en scène, met en scène et joue actuellement, avec talent, au Théâtre du Nord-Ouest, en compagnie d'Elisabeth Ollivier-Millet et Marie Iracane, "Eclairs de chaleur", une pièce décapante d'un jeune auteur contemporain allemand, Daniel Call.
Elle y incarne un personnage d'amazone survoltée et volubile qui atterrit inopinément dans un no man's land en forme de bar, perdu près d'une frontière de l'Est, dans lequel se déroule un étrange huis clos mortifère entre deux sœurs.
Rencontre avec une jeune femme énergique, dynamique et pétulante qui prend son métier à bras le corps.
Avec "Eclairs de chaleur" vous nous faîtes découvrir Daniel Call, un jeune auteur contemporain allemand quasiment inconnu en France. Comment l'avez-vous découvert ?
Bénédicte Lesenne : J'ai travaillé dans un conservatoire à Rouen et à Val-de-Reuil au Théâtre Ephéméride dirigé par Patrick Verschueren qui est très friand des écritures contemporaines et notamment de celles des auteurs des Balkans et des pays de l'Est. J'ai été ainsi amenée à faire une lecture de plusieurs auteurs traduits pour cette occasion, dont Daniel Call, et je suis tombée sous le charme de son écriture.
J'ai donc choisi de monter "Eclairs de chaleur" et le traducteur Marc Gezinger m'a dit que j'avais fait un bon choix car c'était selon lui une de ses pièces qui était la plus "comique" ou plutôt la moins noire même si c'est un drame tragique avec la mort, le renoncement, le sacrifice mais il y a un peu de peps et parfois certaines répliques amusantes appellent le rire.
C'est cette juxtaposition de registres différents qui vous a séduit ?
Bénédicte Lesenne : Oui. J'étais aussi très intéressée par le personnage de Molly Probst et surtout par les rapports entre les deux sœurs. D'abord parce que j'ai moi-même une sœur et que je me pose plein de questions sur la sororité et la famille comme "est-on forcé de s'aimer ou pas ?" sachant qu'on est lié jusqu'à la mort avec notre famille, qu'est- ce qui fait que les petits secrets d'enfance sont réinventés par l'adulte. Et d'ailleurs j'ai imprimé de façon très violente ce questionnement aux deux comédiennes qui jouent ces rôles au tout début du travail. J'avais vraiment envie de développer ce registre de la haine.
C'est réussi car dès les premières répliques, pourtant presque anodines, on perçoit que le rapport des deux soeurs se situe sur un plan de haine sauvage et elles forment un vrai couple sado-masochiste dans lequel le plus dépendant et soumis n'est pas forcément celui qu'on croit. Et puis l'arrivée inopinée d'une inconnue introduit un élément étranger dans ce duo mortifère qui va le dynamiter d'une certaine manière. Ce qui donne une intrigue très intéressante. Vous êtes donc à l'initiative de ce projet ?
Bénédicte Lesenne : Oui et je l'ai monté seule de fait à défaut de trouver un producteur. J'ai participé au travail d'une compagnie pendant assez longtemps, la Compagnie Le Théâtre des Charmes à Eu en Seine Maritime, et ce, dès ma sortie du Conservatoire jusqu'en 1999 date à laquelle je suis arrivée à Paris. Ce fût une aventure très riche et très intéressante déjà parce que j'étais beaucoup plus jeune. Nous avons formé une école et j'y ai fait mes premières mises en scène. J'essayais d'explorer tous les possibles.
Et puis je me suis rendue compte que le fait que la compagnie soit subventionnée implique des contraintes. J'avais très envie de monter "Le cocu magnifique" de Fernand Crommelinck qui est une pièce savoureuse mais qui comporte quelques 18 personnages. Et l'administrateur m'a dit : "Tu es gentille cocotte mais cela ne va pas être possible ! Si tu pouvais monter un texte contemporain avec 2 acteurs que l'on puisse payer toute la durée des répétitions et de l'exploitation ce serait mieux.". J'ai également été engagée sur d'autres projets en tant que comédienne et donc je suis partie.
Il faut à un moment donné lâcher la compagnie car cela implique un travail à plein temps, autant pour l'administratif que l'artistique, et parfois on ne s'y retrouve pas au plan personnel. Ensuite, je me suis de nouveau interrogée sur l'éventualité de fonder ma propre compagnie ou de m'associer à un collectif d'acteurs. Pour le moment, je suis dans l'expectative.
Cela étant, j'ai rencontré Elisabeth Ollivier-Millet au cours d'un stage au Théâtre de la Manufacture de Nancy sur l'écriture de Lagarce et, quand je l'ai vue, je me suis dit : "C'est Kitty !" l'un des personnages de "Eclairs de chaleur". Après le stage, je l'ai contactée pour lui proposer ce projet et ce rôle. Ce projet a permis de réactiver un peu sa compagnie qui était en sommeil, la Compagnie Paquebot Théâtre et Compagnie qui, du coup, chapeaute ce projet. Mais j'en assure seule la production avec mes propres deniers
Et la 3ème comédienne ?
Bénédicte Lesenne : J'ai rencontré Marie Iracane par l'intermédiaire d'une scénographe, Cathy, avec laquelle j'avais envie de travailler. Et, au cours d'une discussion autour d'un verre, je lui ai dit que je cherchais une comédienne assez âgée et qui ait de la gnaque pour jouer le rôle de Hanni. Et il se trouve qu'elle a une vraie puissance et beaucoup d'humour ce qui correspondait bien au personnage.
Le fait d'avoir monté "Eclairs de chaleur" correspond aussi à une envie de travailler sur l'âge dans une société un peu pénible par rapport au diktat du jeunisme. Le règne du lifting et du biotox m'exaspère alors que j'aime la fatigue des corps. Kitty par exemple est une vieille petite fille et je trouve cela très touchant car il n'y a rien à jouer, il n'y a qu'à regarder ses mains, son visage et elle a des rêves de princesse plein la tête.
Et le personnage que vous joué qui me paraît plus fragile face à ces deux monstresses ?
Bénédicte Lesenne : Je ne pense pas vraiment qu'elle soit fragile. La fragilité que vous avez perçu tient sans doute au fait que vous avez assisté à l'une des toutes premières représentations et que je venais de reprendre le rôle. Car à l'origine, je n'étais que metteur en scène et la comédienne qui avait accepté le rôle de Molly a abandonné le projet au tout dernier moment. J'ai donc paré à l'urgence et c'est sans doute moi qui était fragile à ce moment là. Molly est excessive. Après avoir tellement souffert, elle est devenue une amazone et elle a décidé d'être une guerrière qui a le pouvoir et l'argent. La campagne et le silence l'ennuient et il faut qu'elle remplisse tout ce vide.
Mais finalement si on peut dire vous ne le regrettez pas car c'est un beau rôle?
Bénédicte Lesenne : Non bien sûr. Même si au début je l'ai assez mal pris. En définitive c'est un beau cadeau. Quand j'ai monté ce projet, je ne devais être que le metteur en scène et nous étions parties sur ces bases même si Elisabeth et Marie me disaient que Molly était un personnage qui me correspondait bien. Mais la difficulté pour moi a été d'être à la fois dedans et dehors c'est-à-dire d'assurer la mise en scène et de jouer car cela n'est pas facile.
Je suis comédienne donc cela me facilite les choses mais, en même temps, je me suis vraiment rendu compte de la différence des points de vue qui existait entre les indications de celui qui dirige la pièce perçue en étant à l'extérieur et ce que cela donnait quand on les appliquait en étant sur scène. Ce qui m'a permis de revoir certaines choses même si une mise en scène est toujours le résultat de négociations entre le metteur en scène et les acteurs. Quand la comédienne est partie, je connaissais bien évidemment le texte et tous les déplacements scéniques et je me suis jetée à l'eau.
Vous jouez actuellement au Théâtre du Nord-Ouest mais pour un nombre limité de représentations qui plus est étalées dans le temps. Y a-t-il des perspectives de reprise de cette pièce dans un autre lieu ?
Bénédicte Lesenne : Compte tenu des difficultés rencontrées au Théâtre du Nord-Ouest pour avoir un local disponible pour répéter, nous sommes parties 10 jours en résidence pour travailler cette pièce au Théâtre des Charmes qui va sans doute acheter le spectacle pour une programmation en 2008. Par ailleurs Marie Iracane est très intéressée par le concept de "théâtre en bar".
En bar ?
Bénédicte Lesenne : Oui, dans des bars d'autant que l'action se situe dans un bar. Je sais que cela existe car j'ai travaillé à Grenoble avec la Compagnie Privée de théâtre sur un monologue d'une mariée, meringuée jusqu'à la gauche, et dont le futur mari ne se présente pas le jour du mariage. Elle le recherche en allant dans tous les bars où il aurait pu aller la veille pour enterrer sa vie de garçon et, fatiguée, elle se pose et se met à avaler des kirs et ensuite à se raconte. Du côté de Bourgoin-Jallieu s'est créé le festival itinérant Des Barbares dans les bars. qui permet d'aller jouer dans des communes où il n'y a pas forcément de théâtre ou de salle de spectacle mais où il y a toujours au moins un bar. Donc pourquoi pas ?
Et vos projets personnels ?
Bénédicte Lesenne : En ce moment, jusqu'au 4 mai, je joue à Grenoble avec la Compagnie Le chat du désert sur "Les reines" une pièce de Normand Chaurette qui est un auteur québecois et qui est exactement la pièce "Richard III" mais sans les rois et de sans Richard III, uniquement avec les femmes, les reines.
Et cela donne un beau crêpage de chignon pour le pouvoir. La reine Marguerite, qui a été bannie et dont on a tué le mari, n'est plus reine mais elle continue à hanter les lieux en disant du mal de tout le monde. La reine Elizabeth sent que la couronne lui glisse de la tête puisque son mari Edouard est mourant et elle a du mal à envisager de lâcher le trône, Lady Anne va épouser Richard donc elle se met déjà dans la peau du personnage et la duchesse d'York est mère de roi.
Et puis, je suis assistante de Thomas Germaine sur un spectacle de commedia dell'arte qui est co-produit par les Quartiers d'Ivry "Saïd el Feliz " qui s'est joué à Ivry et dont nous poursuivons l'exploitation depuis 2 ans. En mars, nous avons participé au Festival du Chaînon Manquant à Figeac et du coup il doit y avoir une tournée.
Vous venez de province et vous continuez de beaucoup travailler en province. Y a-t-il une grande différence entre Paris et la province ?
Bénédicte Lesenne : Oui il est vrai que je vis à Paris mais, que depuis 2001, je travaille beaucoup à Grenoble. La différence réside dans le coût financier des projets car c'est moins cher. Et puis les comédiens ne louent pas les salles de spectacles mais jouent dans des théâtres, souvent subventionnés par la municipalité, qui ont accepté d'acheter le spectacle. A Paris, il en va différemment. Ainsi, l'année passée, j'avais écrit un solo qui s'appelait "Transports communs" et je cherchais un studio pour répéter. Le minimum c'est 15 € de l'heure pour un studio sans infrastructure et, pour jouer, il faut louer une salle 360 € parce qu'en plus de salle vous payez le technicien.
A Grenoble, la Compagnie Le chat du désert est grenobloise et est donc accueillie au petit théâtre de création au bout du Cours Béria à Grenoble qui est un lieu municipal. Nous disposons de la salle pendant 3 semaines pour les répétitions avec les techniciens. Et puis ils vont prendre en charge tout l'aspect communication pour présenter notre spectacle même si, pour le moment, ils ne se sont pas engagés à prendre le spectacle ou à le coproduire.
Cela veut-il dire qu'il y aura de fait une décentralisation des créations de Paris vers la province ?
Bénédicte Lesenne : Non je ne pense pas parce que Paris reste une plaque tournante importante. Ce qui est difficile à Paris, et c'est là le 2ème avantage de la province, c'est l'inconfort, le manque de place et le manque de temps. En région, même dans une petite municipalité, il y a toujours à côté un gîte rural pour vous recevoir sur place. On dispose de temps sans avoir à courir après le métro. Cela reste la grande richesse de la région dans sa diversité.
Votre futur c'est le théâtre uniquement ou d'autres choses ? Et vers quoi voudriez-vous tendre pour l'avenir : la mise en scène ou la comédie ?
Bénédicte Lesenne : C'est le théâtre point. Ca c'est sûr. J'ai besoin de l'immédiateté, de la présence de l'autre, du moment où l'échange se produit. Je peux être une sacrée bonne comédienne sous ma douche, mais si personne ne me voit, cela n'a aucun intérêt et je n'existe pas. Je suis aussi très attachée à l'oralité et au verbe. Ce qui explique aussi pourquoi j'adore le personnage de Molly Probst.
Par ailleurs, être comédien et metteur en scène, ce sont deux choses différentes. Et dans cette aventure d'"Eclairs de chaleur", je me rends compte du décalage qui existe entre la position du metteur en scène et les attentes de l'acteur et vice-versa par rapport au positionnement du metteur en scène. Ce qui m'a amené à modifier des choses dans ma mise en scène initiale. Ce sont deux positions physiquement, pour le coup, diamétralement opposées et c'est très enrichissant. Dès lors, je crois que je ferai davantage le lien entre ces deux positions.
Et puis parce que j'ai la chance aussi de travailler par ailleurs, parce que des metteurs en scène me choisissent en tant que comédienne. Et je sais aussi, qu'en période de pénurie, si je n'ai pas de rôles, que je peux porter un projet et fédérer une équipe. Et puis j'ai encore plein de projets. Après, le nerf de la guerre, c'est l'argent. Et donc, là, je suis en pleine de réflexion entre la compagnie, le travail en résidence en région, voire travailler à l'étranger.
Vous parlez de votre attachement au verbe à la langue et vous avez évoqué un solo que vous avez écrit. L'écriture est quelque chose qui vous tente ?
Bénédicte Lesenne : L'année dernière, j'aurai répondu par la négative ou que je ne savais pas. Depuis, j'ai écrit ce solo et j'en ai éprouvé du plaisir donc c'est une envie qui me taraude. Cela reste de l'oralité. Ce qui a entraîné quelques erreurs au début car, comme je me mettais très vite au dialogue, j'abandonnais vite la page blanche pour me mettre à la scène. Donc il a fallu m'astreindre à une autre discipline en canalisant mon énergie et me mettant dans la position d'auteur. J'aimerai écrire un spectacle en y mêlant de l'expression corporelle, pas de la danse contemporaine, mais des expressions du corps comme les tocs, les démangeaisons, les attitudes.
Donc pour le moment tout est ouvert.
Bénédicte Lesenne : Oui et c'est mieux comme ça !