Dix-septième année d'existence et d'action militante en faveur de la culture (vive, jeune, vivace, pas jeuniste ni gnan-gnan, créative) pour l'association Aix'qui. Encore une fois chassés des espaces scéniques d'Aix-en-Provence, leur ville natale, les forts en thème de l'éclectisme musical ont cette année trouvé à réfugier leur festival de fin d'année au complexe sportif de Venelles pour une jolie scène à ciel ouvert.
Au programme des deux soirées de concert : huit groupes finalistes Class'Rock (groupes composés de jeunes musiciens encore scolarisés, sélectionnés tout au long de l'année et préparés par une semaine de résidence encadrée par des arrangeurs professionnels) ; quatre lauréats Class'Eurocks (groupes accompagnés tout au long de l'année par l'association dans leur démarche de professionnalisation, avec notamment une excursion européenne pour chacun d'eux) ; des groupes étrangers (venus d'autres pays européens, dans le cadre de tremplins comparables) ; quatre têtes d'affiches nationales : Eiffel, les Hurlements de Léo, No one is innocent et Mass Hysteria.
Plus de quatorze heures de concert en deux soirs. Outre l'enregistrement des concerts, destiné au DVD édité par Aix'qui pour la quatrième année et distribué gratuitement, la soirée est également l'occasion de désigner, parmi les huit finalistes Class'rock, les deux groupes qui continueront l'aventure avec l'association pour une date européenne.
Le moins que l'on puisse dire, pourtant, c'est que ce n'est pas un esprit poisseux de concurrence agressive qui domine entre les jeunes formations. Bass Tension, Dark Symphony, Livestock et Lithium le premier soir ; Ska Socio, Reservoir Dolls, Double Tranchant et The Howling Mad le deuxième soir - tous offrent une prestation appliquée sans être empêtrée, avec beaucoup de sérieux et un enthousiasme toujours réjouissant (voire : une certaine inconscience... on se souviendra en frissonnant du slam soudain du chanteur de Reservoir Dolls dans un public encore dispersé en ce début de soirée).
Et si Lithium, quatuor emmené par la jeune mais déjà charismatique chanteuse / guitariste Anaïs, et The Howling Mad, trio à l'énergie débordante d'un rock aussi punk qu'à Billy, sont les deux groupes retenus par l'association pour continuer l'aventure, le moins que l'on puisse dire, c'est que les autres formations n'ont pas démérité - la difficulté du choix illustrant certainement au mieux la réussite de l'association dans son action d'accompagnement des jeunes musiciens.
L'autre réussite tient certainement à l'éclectisme, valeur assumée et revendiquée de l'association, qui lui permet d'enchaîner, à cinq minutes de changement de plateau d'intervalle, le rock de Livestock au métal progressif de Dark Symphony ; le hip hop gouailleur de Double Tranchant à l'emo metal de Reservoir Dolls.
Et ça marche ! Dans le public, les codes vestimentaires se côtoient et se tutoient, les "tribus" se mélangent, chacun s'amuse à découvrir et ne pas détester la musique de l'autre. Chacun en ressort plus riche, tout simplement.
Le même principe d'ouverture culturelle prévaut d'ailleurs lorsqu'on en vient, après le rock nirvanesque des italiens de Bloody Honey (seul représentant cette année des partenariats européens, les deux autres groupes prévus ayant été contraints d'annuler), aux lauréats Class'Eurocks : de la chanson à texte, volontiers valsante ou polkaïforme avec Pense-Bête ; du Hip Hop survitaminé, humoristique et positif avec La Méthode ; le grand écart du rock, de la rage à la mélancolie, des cris à la douceur, entre Nitwits et Kami.
Entre l'enfance de l'art, dont ils sortent à peine, et la rigueur de leur professionalisme naissant, ces quatre formations vont livrer, chacune dans son registre, des prestations réjouissantes et prometteuses.
Nitwits, auteur de l'autoproduit Death to lo-fi, propose un rock biberonné au punk et au Sonic Youth, qui connait ses Pixies sur le bout des doigts et qui crie.
En cours de hold up sur une scène marseillaise qui n'attend qu'un signe pour ne plus se mettre que son nom à la bouche (pour le meilleur comme pour le pire, à en croire certains échos de fin de concert bagarreuse), le quatuor joue fort, vite et avec rage.
Avec une sacré urgence, même ; ce qui n'exclut d'ailleurs pas une certaine finesse dans la composition.
De Kami et son premier EP, Where we fall (autoproduit), j'ai déjà eu plusieurs fois l'occasion de dire tout le bien que je pense : un rock sensible, doux mais tendu, mélodique, dont les beautés ne font que masquer une certaine noirceur sous-jacente (une petite voix m'a même glissé que, l'air de rien, les quatre musiciens puisaient inspiration dans la discographie de Slint - ce que l'on ne saurait leur reprocher). La prestation de ce soir, unanimement saluée, est à la hauteur des promesses que le groupe ne manquera pas de tenir bientôt.
Pense-Bête, trio contrebasse - guitare(s) - accordéon - chant, auteur d'un très beau premier album autoproduit, La folie et le pain d'épices, présente sur scène un univers d'une très grande sensibilité, servi par des textes de grande qualité, très écrits sans être indigestes, adroits, volontiers tendres, calmement revendicatifs, ne cédant jamais à la facilité du cynisme.
Dans la ligne d'une chanson française passée par le rock pour mieux en revenir à sa valse, revenue de la saturation et de l'électrique, les trois musiciens brossent des tableaux simples mais colorés, posant sur la réalité un regard tout en poésie, en finesse et en humour léger.
La Méthode impose sur scène l'énergie incroyable de ses quatre MCs, le spectacle ahurissant de son light-show ultra-précis.
Lancée à deux mille kilomètres / heure, s'offrant encore le luxe de l'humour et de l'auto-dérision, la formation propose un hip hop vidé de toute agressivité, un hip hop de la performance, de l'acrobatie verbale et corporelle, tout en déséquilibre(s) - des corps et des phrases, qui trébuche et cabotine, pose, s'élance, rebondit sans cesse, un incroyable puzzle en trois dimensions, où les corps dansent et se répondent de la voix.
Pour être honnête, je ne suis pas un habitué de ce type de musique, pas un grand familier de ces univers. Mais il a fallut moins de cinq minutes à La Méthode pour me conquérir. Une expérience scénique à ne pas manquer.
Ce sont Eiffel puis No one is innocent qui viendront clore la première soirée de concert, Les Hurlements de Léo et Mass Hysteria qui refermeront définitivement la page de l'édition 2007 du festival Class'Eurocks. On soulignera, tout autant que la performance individuelle de chaque groupe, le non moins excellent esprit dans lequel ces quatre formations de renom ont joué le jeu de l'éclectisme, de l'ouverture et d'une certaine simplicité.
Sur scène, Eiffel confirme l'étonnante progession déjà donnée à entendre par son dernier opus, Tandoori. Exit la voix quelque peu crillarde d'Abricotine, Romain a gagné une profondeur rocailleuse, un timbre plus cassé qui renforce son écrasante présence scénique - non sans rappeler le Bertrand Cantat, cuvée 666.667 Club.
Textes engagés à l'écriture parfois acrobatique, rock tendu, nerveux, le groupe navigue dans sa propre discographie, qu'il n'hésite pas à revisiter, comme cet excellentissime "Hype" qui achève sa performance, émaillé de citations inspirées de Brel, Ferré et consorts, collant son "clitoris en forme de réussite" aux chiens qui ne sont pas contre le fait qu'on laisse venir à eux les chiennes et à ces gens-là qui ne vivent pas, dans un déluge sonore délicieusement interminable.
Redoublant, No one is innocent revient aux Class'Eurocks après avoir laissé une fameuse impression il y a quelques années. Si la formation s'est largement renouvelée autour de son chanteur, Kemar, la hargne et la contestation sont toujours là - "systématique", ajouteraient les détracteurs du groupe.
Pourtant, il y a une certaine candeur dans l'attitude du groupe, qui sourit beaucoup, manifestement ravi de se trouver sur scène, tout simplement - à l'image du chanteur, encore, qui n'hésite pas à descendre au milieu du public pour y chanter, dans un beau face à face.
On est loin, c'est certain, de l'attitude du poseur surfant sur la vague, commerciale, d'une colère de supermarchés de la musique. Sur scène, "Révolution.com", "La peau" et la reprise du "Personnal Jesus" de Depeche Mode fonctionnent toujours à merveille.
Les Hurlements d'Léo viennent porter sur scène leur joyeux bazar de huit musiciens sur scène : guitare(s), violoncelle, accordéon, batterie, contrebasse, trompette, trombone, saxophone, claviers, voix au pluriel...
Pour ce premier concert avec leur nouvelle violoncelliste / clavier, les globe-trotters de la nouvelle scène française laissent exploser sans complexe leur côté le plus rock, celui-là même qui domine leur dernier opus, Temps suspendu.
Echappant plus que jamais aux classifications faciles ("rock musette", "java punk" ?), les Hurlements de Léo s'engagent jusqu'au cou dans un univers de plus en plus personnel, tout en s'offrant un nouvelle collaboration musicale, La République du sauvage (avec l'Enfance Rouge, trio franco-italien d'un rock sombre et contestataire), dont l'une des compositions est jouée ce soir.
Mass Hysteria clot le festival avec son métal massif, impressionnant de puissance et d'énergie, portant sa "Furia" sur une scène ravie de se laisser prendre au piège de l'éponyme.
Pourtant, c'est une impression de générosité, de gentillesse, même, qui prédomine.
Exemplaire est à ce titre Mouss, le chanteur du groupe, au sens du spectacle exacerbé. N'hésitant pas à mettre à l'honneur tous ceux du public qui le souhaitent, il finit par dédier le concert à deux enfants d'une demi-douzaine d'année à peine, tranquillement installés au premier rang.
Une image pleine de sens - surtout si l'on se rappelle que le plus jeune musicien cette année, Sébastien, bassiste de Livestock, n'avait que treize ans - soit quatre de moins que les Class'rock... Une parfaite image de la culture, prise live.
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