Après avoir été tellement impressionné par la performance de Romane Bohringer dans "Face de cuillère", j'avais voulu savoir comment on parvient à une telle perfection.
Très gentiment, elle accepte de m'en dire plus pour Froggy's Delight.
Voici la deuxième partie de cette entretien réalisé au TOP de Boulogne où elle achève cette série de représentations.
Quelle a été la part d'improvisation pendant le travail ? As-t-elle été importante ?
Romane Bohringer : Oui, bien sûr. C'est beaucoup plus vertigineux que quand on est quinze sur scène. On part d'un matériel très brut : un long texte.
Ca fait peur ?
Romane Bohringer : Ah oui vraiment. C'était des répétitions très difficiles pour moi parce que ça me semblait vertigineux tout ce texte....trouver une agitation intérieure pour chaque instant, chaque phrase.... Quand c'est partagé, c'est beaucoup plus facile. Chacun donne une couleur, on y répond. C'était même douloureux par moment tellement je me sentais au départ déconcertée par la montagne de texte à habiter, à transformer, à rendre vivant. Et c'est drôle comme le travail est vraimernt salvateur parce que, entre l'état où je me sentais au départ et l'état dans lequel je me sens maintenant, il y a un monde.
Maintenant, il n'y a pas une virgule de "Face de cuillère" qui n'est pas pour moi habitée par quelque chose : par une pensée, par une image. Tout maintenant... chaque phrase est importante. Je ne sens plus le temps passer par exemple alors qu'au départ, je me sentais presque ennuyeuse parce que pour moi à l'intérieur, tout était encore flou. Et à force de travail, maintenant ça passe comme un éclair. L'univers intérieur de Face de cuillère existe. Il est réel. Je connais son père, je connais sa mère, je connais "madame patate". Donc tout ça maintenant est presque "aisé". C'est vraiment elle qui me mène sur scène. Mais au départ c'était un espèce d'énorme tunnel à traverser.
Et la part d'improvisation, ben oui, c'était vraiment proposer des choses, se tromper, ne pas être d'accord, être d'accord. Ca a été une espèce d'assemblage d'idées, de coutures, de petits moments. Et puis elle change tout le temps d'humeur et d'idée donc c'est pas évident. Une fois qu'on a trouvé sa dynamique intérieure, après ça été plus facile mais au départ, ça a été un immense truc à défricher très vertigineux pour moi.
Et oui : j'ai proposé plein de choses, Michel m'a proposé plein de choses. On avait une chorégraphe qui nous a aidé aussi pour les moments de danse. Elle proposait des choses, j'en proposais d'autres. J'en refusais certaines. Voilà, ça a été un mélange, quoi. Une appropriation, petit à petit.
Quelles ont été les réactions du public ?
Romane Bohringer : Je dois avouer que ça fait un an et demie que je joue le spectacle et j'ai vraiment vécu partout où on a été des moments de communion avec le public d'une intensité vraiment dingue. (Je sais pas si je revivrais ça). Ca veut dire que le travail qu'on a fait a porté ses fruits. On a jamais grugé avec l'émotion du texte, on s'en est jamais servi pour faire pleurer dans les chaumières. On est extrêmements exigeants avec ça.
Je le suis moi-même sur scène tous les soirs, et même sur le rire (car le spectacle fait beaucoup rire aussi), à rester très droite et à tracer la route du spectacle. Et je dois dire que j'ai vécu des moments de transe avec le public, des moments d'adhésion totale quoi... Des moments d'extase, de plénitude en tant que comédienne, de sentir que les gens sont tellements avec vous et parfois dès que ça démarre, ils sont tout de suite l'ami de Face de cuillère. Je sens un courant tellement sympathique. Même pas pour moi mais pour la petite gosse. Et ça fait souvent des représentations en extase pour moi, vraiment.
Ca va être dur d'arrêter ?
Romane Bohringer : Oui, mais en même temps, j'ai la chance de vivre pas mal de très belles aventures donc je suis pas nostalgique et ce qui arrive dans le futur m'excite aussi. Mais bien sûr, ça restera un très très grand moment de théâtre pour moi.
Et aussi, j'ai beaucoup beaucoup appris. Etre seule sur scène, ça m'a fait beaucoup grandir. Donc je crois que plus rien n'est impossible maintenant pour moi au théâtre. Parce que vu comme j'ai eu peur et j'y suis arrivé quand même !
Alors, c'est la fin de "Face de cuillère" ?
Romane Bohringer : Il se trouve que c'est extrêmement facile à monter et à transporter donc quand Michel aura d'autres demandes, en fonction de mon emploi du temps, on le reprendra peut-être. Nous, on se dit pas que c'est la fin... |