Prenez un ouragan, faites vrombir le tonnerre, laissez sécher les victimes et ramassez les corps. Regarder la scène rock parisienne quatre ans après son explosion et faire le bilan, à l’heure de la sortie des premiers albums. Les Shades, signés chez Tricatel pour leur premier album, ressemblent à des miraculés. L’orage (médiatique) est passé, et les cinq fringuants publient un meurtre bien honorable.
Mais autant le dire d’emblée, Le meurtre de Vénus ne satisfera pas toutes les bourses. Il y aura, comme au temps des mods, des punks, des hippies… il y aura des détracteurs, des fans et des groupies. Des dissidences. Car les Shades, d’une part, sont le premier album véritablement rock du label Tricatel. Et puis, comme je le soulignais plus haut, Vénus est attendue au tournant. Dernière sortie de la vague des « twenty something » parisiens. Et la musique alors hein ?
Au croisement de plusieurs sentiers. Chantiers même ! Pop, rock, variété (au sens où Tricatel l’a toujours entendu, avec noblesse et retenu) qui d’entrée affiche la carte : Guitares, synthés et voix sous filtre. Un regard moderne qui enterre bien profond la vision France con-con pratiqué par les déjà ancêtres du rock parisien (je ne les citerai même pas tiens). Une vision blanche, stoned immaculate aurait dit l’autre. "De Marbre ", troisième piste, et un mur de guitare soft entourent les claviers d’Hugo, les paroles de Benjamin Kerber marquent un grand pas dans, toujours à moitié mystique, à moitié réelle. Un bel effort.
Alors les Shades… Des enfants prodiges ? La chanson éponyme n’apporte pas la réponse, et la voix de Kerber, si elle peut se révéler agaçante à la longue pour le trentenaire habitué au chant monocorde, n’en reste pas moins passionnée.
Et c’est "Orage mécanique" qui enfonce le clou. Oui, c’est un premier album honnête. Qui retranscrira mal (forcément) la folie des concerts, l’apoplexie des premiers rangs. And so what ? Puisqu’il faut bien commencer quelque part, et qu’à choisir les Shades ont fait le bon choix : Jouer la longueur, refuser aux majors, et puis tant qu’à faire, autant se faire plaisir et se défaire des … machinations. L’un des meilleurs titres, loin devant "Le prix à payer". Trop entendue, déjà obsolète. "Machination", un regard kleenex bye bye à la jeunesse perdue.
C’est paradoxalement les titres les plus langoureux qui raviront l’auditeur novice. "La détente", justement, est l’un d’entre eux. Des odes aux relations sexuelles underage, lentes et chaudes, pour les kids qui ont encore des rêves. Et alors que tout le monde se réclame de Burgalat (Patron de Tricatel, NDR), les Shades parviennent à trouver leur autonomie face à papa. Car passé un certain âge, il faut bien prendre son envol. Il faudra plusieurs écoutes pour comprendre toutes les astuces de production, tout ce gai-savoir que Burgalat (producteur de l’album) a su ici dissimuler derrière les guitares, sans trop en faire sur les sonorités.
Le meurtre de Vénus… A la question "Ce premier album est-il génial ?", la réponse semble être non. L’exigence semble parfois pousser à des envies inatteignables dont tout le monde attend des miracles au premier riff . Mais les Shades, inévitablement, sont l’avenir du rock français. Une capacité de songwriting étonnante. Quelques compositions sévèrement burnées….
"J’ai vu la lumière" crie Benjamin sur le prix à payer… Effectivement. Cet album vaut quelque chose, et la monnaie est plus qu’honnête. |