Création collective du Théâtre du Soleil, mise en scène d'Ariane Mnouchkine.
Aller à la Cartoucherie, c’est toujours comme partir sur une île lointaine. On prend la navette à côté du château et, tanguante et brinquebalante, elle vous emmène telle un ferry-boat à la découverte d’une île au trésor. Les passagers sont déjà concentrés, recueillis, étrangement silencieux…
Puis c’est toujours le même cérémonial fait de petits rites qui évoluent de décennies en décennies : la restauration servie par la troupe, la pastille rouge qu’on colle sur sa place, les couvertures jaunes qu’on vous prête pour supporter les courants d’air et la durée-fleuve.
Tout ça concourt à faire de ce moment de théâtre, un moment exceptionnel où on laisse son quotidien à la porte pour se laisser porter par le spectacle. Une fois tout le monde placé et brieffé, dans le noir avec juste le scintillement des guirlandes lumineuses placées tout le long des banquettes en bois qui se font face d'un côté et de l'autre de la scène, l’histoire peut enfin commencer…
Arrive alors comme un tapis volant la scène circulaire (ou plutôt une des scènes car elles seront plusieurs à se suivre ou se relayer) poussée par des mains expertes. On s’y affaire, l’habillant, la garnissant d’objets divers et déjà la magie opère…
Dans une mise en scène très cinématographique et toujours en mouvement, sorte de longs travellings, on suit l’histoire faites de plusieurs tableaux qui se succèdent, se complétant ou pas, pour dessiner, rassemblés les uns aux autres, une histoire universelle d’humains qui nous ressemblent.
Les plateaux tournants apparaissent et disparaissent poussés par un binôme d’accessoiristes agiles et investis et tournent sans cesse, donnant à la succession des scènes une impression de grande fluidité. Les petites histoires s’enchainent avec lenteur donnant l’impression d’une maîtrise absolue dans un jeu dirigé avec pureté et délicatesse.
Même les enfants, d’ordinaire enclins à surjouer à cet âge-là (une dizaine d’années tout au plus), sont ahurissants de sobriété. On sent l’ensemble de la troupe désireuse de porter le travail commun et c’en est extrêmement émouvant.
"Les Ephémères" racontent des morceaux de vie : deuils, scènes familiales, joies ou drames qu’on a tous vécus de près ou de loin. Et puis des histoires un peu plus insolites comme l’amitié entre une petite fille : Luna qui a perdu sa mère et va en retrouver une en la personne de Sandra (ex-Samuel), sa voisine qui va presque l’adopter.
Au final, Ariane Mnouchkine a écrit une fois de plus une page du théâtre. Pas la plus grandiose certes, mais certainement une des plus humaines. Et le salut de toute l’équipe, comédiens et accessoiristes rassemblés, est un modèle d’humilité. Sans oublier la musique de l’immense Jean-Jacques Lemêtre qui berce de son talent tout le spectacle et lui donne un souffle inoubliable. |