Il pleut ce 24 avril, je monte la rue Boyer où se trouve la Maroquinerie contre le vent plus hostile que fripon.
La soirée des Femmes s’en mêlent annonce trois artistes qui suscitent la curiosité : Lonely Drifter Karen de l’autrichienne Tanja Frinta, Miss Li ou la suédoise Linda Carlsson et the last but not least l’australienne Phoebe Killdeer.
Tanja Frinta est un mélange de Gwyneth Paltrow et de Joni Mitchell en plus discrète. C’est leur premier concert à Paris, ce qui explique peut-être la réserve du groupe, appliqué à ressusciter un univers gentiment suranné : un petit côté bal populaire, ou des mélodies saccadées qui rappelle parfois Kurt Weill.
Nous écoutons les chansons d’une comédie musicale imaginaire qui ne manquerait pas de classe. Vous vous souvenez lorsque Audrey Hepburn est surprise en train de chanter à son balcon dans Breakfast at Tiffany’s…
Mais le récital manque d’épaisseur : des charmes de cabaret qui ont laissé leurs pointes de perversité au vestiaire.
Linda Carlsson est arrivée, déterminée et volontaire : il faut que ça explose ! Le groupe est habillé avec humour en costume des années cinquante, la chanteuse aux cheveux de jais réveille l’assistance. Elle va du piano au micro, bousculant les musiciens.
Tout est surprise et fête. S’amuser de tout. Les paroles sont simplissimes mais la théâtralisation de l’interprétation
et les mélodies jazz lancées à toute allure font naître des scènes. Je donne un exemple : "Leave my man alone, you ! Bitch ! I’m not prepared to share my man". Et oui, Miss Li est de celles qui sortent les griffes. Elle traverse le set, avec une voix qui menace de rompre mais elle a su transformer l’ambiance : maintenant on s’amuse.
Nous n’étions pas à la fin des expériences. Quand Phoebe Killdeer rentre sur scène, c’est pour se dissimuler dans le noir, ou s’éclairer d’une seule lampe rouge, ou de quelques allumettes : l’ambiance est expressionniste.
Parce que Phoebe Killdeer n’est pas moins qu’un envoûteuse, une sorcière jeteuse de sorts… menaçante, caressante jouant de sa longue chevelure châtain, comme d’un rideau cachant des incantations magiques.
Servie par des musiciens de haute volée, elle est polymorphe : puissante comme fragile et abandonnée. Aucun registre ne la désarme, sa voix se fait lyrique ou jazzy sans effort apparent.
Et loin de rester dans les limites du disque enregistré, la prestation scénique est une exploration, à l’affût d’un son étrange, d’une composition hétéroclite, tel l’invité saxophoniste qui accompagne un titre de sons stridents. L’esprit de Frank Zappa serait-il là ? Phoebe Killdeer est étonnante sur scène : de l’angoisse, du suspens, de l’amour …. Excitation et plaisir garantis.
Et il ne pleut plus, la nuit est douce. |